Un pensionnat de jeunes filles en Virginie durant la guerre de sécession qui recueille un soldat blessé : petit à petit, pendant qu'il se remet de sa blessure immobilisante, le yankee s'immisce dans la vie des jeunes filles attirées par son beau parlé (D’où le titre original « The Beguiled », les séduites), sa présence va profondément chambouler le pensionnat, qui se trouve être rattaché au camp adverse : les confédérés. On suivra le déchaînement des passions de ce microcosme féminin au fil des interactions, des mensonges et des coups bas, sur fond de guerre de sécession.
Un roman profond, ambigü, qui explore les psychologies de ses personnages, extrêmement bien écris et campés par Thomas Cullinan qui leurs donne la parole chacune leur tour le temps d’un chapitre. De la maîtresse de maison à la petite dernière des pensionnaires en passant par la femme de chambre noire, chacune livre son point de vue changeant au fur et à mesure que le récit progresse dans une ritournelle à la manière d’un barillet de pistolet. Pour autant chacun de ces témoignages n’est en aucun cas gage de vérité, entre omission et volonté de se donner le beau rôle, chaque chapitre possède sa part de subjectivité.
La tâche du lecteur, rassembler les morceaux du puzzle au fil du récit, est d’autant plus complexe mais aussi plus stimulante. C’est à nous de démêler le vrai du faux, le feint du sincère.
Cullinan fait décrire à ses personnages, avec la virtuosité d’un funambule, leurs motivations et leurs pensées. Des personnages qu’on arrive jamais à vraiment à cerner : on doute sans cesse, on hésite régulièrement entre des sociopathes dénuées d’empathie ou seulement des jeunes filles en fleur malheureuses, jalouses et cassantes sur les bords… Il en va de même pour le caporal John McBurnay, séducteur roublard, menteur, venimeux, ou bien pauvre gars beau parleur ?
Bien rythmé sans trop de longueurs, perfusé d'une tension palpable et à plusieurs niveaux (émotionnelle, morale, sexuelle mais aussi patriotique) et particulièrement bien écrit/traduit, le roman se dévore. Mais il faudra connaître un minimum les tenants et aboutissants de la guerre de sécession pour pleinement apprécier cette tension patriotique qui oppose McBurnay au reste du pensionnat.
La langue de Cullinan est superbe, suggestive, incarnée et souvent pince-sans-rire. Mais c’est surtout pour la permanente ambigüité dans laquelle se retrouve plongé le lecteur que Les Proies est assez incroyable et vaut la peine d’être lu.
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