A la croisée des mondes, les royaumes du Nord : une réflexion métaphysique sous couvert de livre pou

A la croisée des mondes, les royaumes du nord. Livre classé jeunesse. Couverture aux dessins enfantins. Tout semble indiquer que cette saga se destine exclusivement à un jeune public. Cependant, ne vous laissez pas duper : derrière le ruban « Folio Junior » se cache un monde riche et foisonnant. Avec Philip Pullman, on assiste à l’érosion de la frontière entre littérature pour enfant et pour adulte. Si l’auteur reprend des codes de romans jeunesse qui font furieusement penser à Harry Potter (l’héroïne, l’Élue malgré elle, doit sauver le monde accompagnée de créatures fantastiques), il fournit également une réflexion sur la religion, la science, et la relation ambiguë qu’elles entretiennent. Plongée dans cet univers fantasque et étonnant qui a marqué une génération.
Lyra, onze ans, vit parmi les Érudits du Jordan College à Oxford où elle a passé son enfance. Elle tue le temps en vadrouillant dans les rues parmi les gitans, en livrant des bagarres avec différents gamins de la ville et en explorant les secrets de son lieu de résidence. C’est lors d’une de ses expéditions qu’elle va découvrir quelque chose qui va changer le cours de sa vie : au Nord, il existerait des particules surnaturelles, la Poussière, qui appartiendraient à un univers parallèle. Armée de courage, Lyra décide de rejoindre son oncle Asriel, célèbre aventurier, qu’importe les multiples dangers qui l’attendent.
De ma lecture du premier tome de A la croisée des mondes ressort un constat évident : il existe plusieurs niveaux de compréhension. Si vous êtes plutôt jeune, sûrement serez vous surtout sensible au rythme haletant de ce roman, passant sans cesse d’une péripétie à une autre, d’une aventure à une autre. On ne s’ennuie jamais dans sa lecture tant ce livre est riche en rebondissements et en cliffhangers.
Il y a fort à parier que vous serez aussi captivé par sa dimension fantastique. Le monde imaginé par Philip Pullman est peuplé d’êtres étranges (sorcières, daemons, ours en armure) qui appartiennent autant à une tradition littéraire qu’ils s’en détachent. L’auteur joue par exemple des codes de la représentation de la sorcière dans la littérature pour mieux les bouleverser et s’en détacher, surprenant constamment ses lecteurs. D’autres éléments magiques sont inventés de toute pièce, comme l’aléthiomètre, une sorte de boussole aux quatre aiguilles et trente-six symboles qui n’indiquerait pas le Nord, mais la vérité. Grâce à elle, l’héroïne acquiert le pouvoir de prédire le futur, permettant à Philip Pullman d’explorer le thème de la destinée et de l’inexorable. Les trouvailles de créativité fourmillant dans ce roman lui confèrent un caractère original, mystérieux.
Par ailleurs, un des atouts principaux de A la croisée des mondes sont ses personnages. Si beaucoup de lecteurs ont été agacés par le côté je-sais-tout de Lyra, force est d’admettre qu’il s’agit tout de même d’une protagoniste multidimensionnelle dont l’impétuosité sert le récit. Son arrogance se trouve compensée par sa vivacité d’esprit, sa curiosité, son dynamisme. D’autre part, on découvre une part d’elle plus sensible et vulnérable au fil du livre, contrastant avec les traits de personnalité précédemment évoqués. Le portrait qu’en dresse Philip Pullman est donc nuancé et complexe. Cette remarque peut s’appliquer à la grande majorité des personnages secondaires, en particulier à Asriel et à Coulter. Leur ambiguïté morale rompt avec un schéma manichéen omniprésent dans la littérature jeunesse. Dans chaque scène où ils apparaissent le lecteur ne sait jamais comment se positionner, alimentant ainsi le suspens.
Enfin, ce premier niveau de lecture est nourri par l’omniprésence de l’imaginaire nordique. Le géographe Alain Grenier voit les descriptions littéraires de paysages polaires comme hautement attractifs pour un public occidental ; et à raison. Les Royaumes du Nord est parcouru d’images sublimes. Le style de l’auteur est particulièrement prenant, marqué sans être trop lourd.
Outre ces multiples qualités, c’est le second niveau de lecture qui a retenu mon attention. A travers l’histoire de Lyra, Philip Pullman présente en effet une réflexion sur la religion et la science. Le monde dans lequel il ancre ses personnages est en proie à un fort dogmatisme religieux. La recherche de l’origine Poussière anime autant les comités scientifiques que l’Église. S’ils apparaissent tout d’abord comme concurrents, on découvre vite qu’ils sont intrinsèquement liés. La distinction opérée par Platon entre ce qui est croyance et science, foi et certitude éclate alors en morceaux. Les règles de l’univers de Philip Pullman sont davantage pascaliennes : la certitude religieuse devient égale voire supérieure à la certitude scientifique. Cette dimension métaphysique est d’autant plus intrigante qu’elle s’appuie grandement de la Bible. En effet, ce texte est émaillé de références à Adam et Eve et au péché originel. Plus qu’une invitation à une réflexion globale sur la religion, A la croisée de mondes nous pousse donc remettre en question nos propres poncifs et allants de soi culturels.
tarteauxlettres
8
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le 6 sept. 2020

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