M’ENFIN… Il est grand temps de l’empêcher !...

Le bouquin démarre sur le lancement, à Kourou, d’Ariane 5 pour la mise en orbite du télescope spatial James Webb, le 24 décembre 2021. Sont présents, pour assister à l’envol du monstre rugissant des membres des agences spatiales américaine, la NASA, et européenne, l’ESA, ainsi que d’Arianespace (il ne manque qu’une seule personne dont on parlera plus loin).

« À 15 minutes du décollage, l’ambiance est électrique, la tension sauterait au visage du premier profane. […] À tous de DDO, attention avant le décompte final. 10, 9, 8, 7, 6, 5, 4… 3… 2… 1… Unité. Top. Allumage Vulcain. Allumage des EAP. Décollage ! »

L’immense fusée Ariane 5 s’arrache ses 771 tonnes à l’attraction terrestre et s’élance dans le ciel.

Deux minutes vingt et une secondes après le décollage, Ariane 5 a déjà atteint 72 kilomètres d’altitude et une vitesse de 2 kilomètres par seconde. Les deux immenses boosters latéraux ont fini de fournir 90 % de la poussée totale nécessaire au lancement et se détachent. Enfin, 27 minutes et 7 secondes exactement après avoir quitté le plancher des vaches, James Webb est largué dans l’espace à une vitesse vertigineuse de près de 36 000 kilomètres par heure.

« Ce n’est pas tous les jours que l’on assiste à une naissance dans l’espace. Cette expression n’est ni exagérée, ni galvaudée. Après des années de gestation dans les salles blanches, confiné derrière des sas sanitaires, préparé, assemblé, testé, le télescope James Webb est enfin lâché dans le monde réel. »

C’est alors que Stéphane Israël (PDG d’Arianespace) se dirige vers la salle où l’attendent les journalistes pour une déclaration officielle « Mais j’ai pu voir son visage juste avant son départ. Le visage d’un patron qui laisse transparaître dans ces rares moments des émotions qui nous font penser que nous ne travaillons pas dans une industrie comme les autres. »

Alors, celui dont l’absence est complètement passée inaperçue, la petite fourmi laborieuse et anonyme, est tout gonflé de fierté et de nostalgie parce qu’il y a une quarantaine d’années il a placé sa petite brique dans l’édifice en étudiant et développant la liaison structure/tuyère des boosters d’Ariane 5 pour 2 minutes de combustion de 240 tonnes de poudre à près de 3000°C sous une énorme pression … « nous ne [travaillions] pas dans une industrie comme les autres. »

Et au moment où je mets ces lignes en ligne, mon petit-fils s’apprête à procéder au lancement de « sa » fusée (prévu jeudi 28 mars 2024) élaborée par un groupe de travail de son école d’ingénieurs, sous le patronage d’Arianespace Bordeaux (la relève semble assurée). Mais ne cherchez pas dans la presse des nouvelles de cet extraordinaire exploit car, si tout se passe bien, la diffusion de la vidéo devrait rester confidentielle 😊. Même Raphaël Chevrier n’en a pas été informé !

(Compte tenu de ce qui va suivre, je rassure tout de suite le lecteur : Non, la fusée en question ne mettra pas en orbite un satellite supplémentaire, et pour des raisons de sécurité aérienne elle ne devrait pas s’élever à plus de … 150 m au-dessus du sol !)


Raphaël Chevrier est responsable des communications chez MaiaSpace, une société qui conçoit, développe et commercialise le premier mini-lanceur réutilisable européen. Entre 2016 et 2023, Raphaël Chevrier a travaillé pour Arianespace, opérateur de services de lancements spatiaux européen, d'abord en tant qu'assistant exécutif auprès du Président exécutif Stéphane Israël, puis comme Business Developer en charge des sujets d'innovation et d'exploration, ainsi que du management des offres commerciales. Docteur en physique nucléaire, il a préparé et défendu sa thèse au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives en 2013. Passionné de vulgarisation scientifique et ancien chroniqueur pour la presse scientifique, il est l’auteur du livre « Les saccageurs de l'espace. Débris, militarisation, exploitation : comment faire pour sauver notre bien commun », et c’est lui qui nous a fait partager le lancement du 24 décembre 2021, en Guyane.


Alors, qui sont ces SACCAGEURS de l’espace ? Vous n’avez pas une petite idée ?

La guerre des étoiles se joue sur Terre entre SpaceX et Elon Musk, et Blue Origin d’Amazon et Jeff Bezos, à coup de milliards de dollars de la NASA.

Mais bien sûr le Top du Top c’est Elon Musk : Avant-même la création de Space Exploration Technologies (SpaceX en abrégé), Elon Musk ne parle que de la conquête de la planète Mars. À la différence de la NASA, qui s’enferme dans un discours essentiellement scientifique pour justifier l’exploration de Mars, Elon Musk en fait ni plus ni moins un enjeu de survie pour l’humanité. Dans un discours apocalyptique décomplexé, l’entrepreneur martèle à qui veut bien l’entendre qu’au lieu de prendre soin de notre planète, l’espèce humaine n’a d’autre choix que de devenir une espèce « multiplanétaire » en s’exportant sur un astre voisin.

Sûr de lui, il fait fi des difficultés d’un programme d’approche élaboré par les spécialistes de la NASA :

Voir le livre de Francis Rocard, Dernières nouvelles de Mars (mars 2020)

https://www.senscritique.com/livre/Dernieres_nouvelles_de_Mars/critique/223947226

Et encore plus des mises en gardes de Sylvia Ekstrom, Nous ne vivrons pas sur Mars ni ailleurs (novembre 2020) dont je n’hésite pas à rappeler la recommandation : « Il est temps de cesser de nous comporter comme des enfants gâtés exigeants tout, tout le temps, tout de suite, et traitant la Terre comme si elle était un supermarché à notre disposition exclusive. Avant qu’il ne faille nous rebaptiser "Homo avidus", retrouvons la dignité de vrais Homo sapiens. »

https://www.senscritique.com/livre/nous_ne_vivrons_pas_sur_mars_ni_ailleurs/critique/238864608

Ainsi, homme de spectacle ayant tendance à prendre son auditoire pour des imbéciles, le 6 février 2018 Elon Musk, au risque de mélanger les genres et de basculer l’enthousiasme du « New Space » dans une forme de caricature, fait décoller sa fusée Falcon Heavy de SpaceX, capable de placer 27 tonnes en orbite géostationnaire, pour un vol inaugural destiné à tester le "réatterrissage" de trois étages de la fusée. Celle-ci n’a pas été tirée à vide : sous la coiffe, la charge utile n’était autre qu’une voiture Tesla Roadster rouge flamboyante, au volant de laquelle se tenait un mannequin affublé d’une combinaison et d’un scaphandre d’astronaute. Environ 4 minutes après la mise à feu la coiffe s’ouvre mettant la voiture et son pantin en contact avec le vide et quatre heures plus tard le véhicule est largué sur une orbite héliocentrique le faisant tourner autour du Soleil pendant des siècles (une erreur de calcul l’a empêché de se diriger vers Mars pour y répandre des bactéries terrestres, risquant de contaminer ainsi l’écosystème de la planète rouge). Il semblerait qu’il a 6 % de chances de s’écraser sur Terre au cours du prochain million d’années et 2,5 % sur Vénus. Je m’imagine la tête de nos descendants en voyant arriver ce fossile !...

Inutile de dire que sa cours a applaudi à tout rompre.

Pendant des dizaines d’années, pour communiquer, on a utilisé les satellites de communication en orbite géostationnaire, à 36000 km d’altitude qui provoquait un temps de latence de 0,6 s entre la question et la réponse ce qui n’est plus supportable avec les jeux en ligne. Il est donc impératif de réduire l’altitude des satellites (entre 400 et 1000 km) et donc de les multiplier (par plusieurs milliers) pour couvrir la surface de la planète. Pour le plus grand plaisir des marchands d’abonnements !

Ainsi en seulement quatre ans, entre mai 2019 et août 2023, SpaceX a lancé dans l’espace plus de quatre mille huit cents satellites consacrés à internet, d’environ 300 kilos chacun et évoluant à très basse altitude, à 550 kilomètres de la surface terrestre. En réalité, le nombre de satellites actifs évoluant au-dessus de nos têtes suit une progression exponentielle à peine croyable. Ils étaient près de 1 000 en 2010, 1 400 en 2015, 2 000 en 2018, 3 300 en 2020. Ils étaient 4 800 en 2021. Aujourd’hui, ils sont… 7 000 ! Ce n’est pas fini. D’ici à 2030, les spécialistes s’attendent à en voir près de 27 000, principalement issus de ce que l’on appelle les mégaconstellations de télécommunications.

Devant cette occupation massive de la banlieue terrestre en un temps record, suivant la logique du « premier arrivé, premier servi », pourquoi les autorités compétentes ne réagissent-elles pas ?

Historiquement, seule l’orbite géostationnaire fait l’objet de règles particulièrement strictes pour organiser la répartition des satellites autour de la Terre. On alloue des fréquences spécifiques aux stations radio afin d’éviter l’anarchie sur les ondes. Fondée en 1865, l’Union internationale des télécommunications (UIT), attribue aux satellites du monde entier des fréquences radioélectriques et des positions sur l’orbite géostationnaire.

C’est l’UIT qui a autorisé 42 000 satellites de la constellation Starlink (Elon Musk) à émettre dans certaines bandes de fréquence, sans se soucier des conséquences de la mise sur orbite d’un tel volume de satellites. De délire en délire : la société Kepler Communications qui n’a à ce jour déployé que deux satellites de démonstration, a déposé une demande pour le déploiement, à terme, d’environ 115 000 satellites en orbite basse ! Rien n’empêche de déposer une demande pour lancer un million de satellites dans l’espace…

Y a-t-il vraiment des risque de collision ? Le vide est vide, l’espace est grand !

Parmi tous les cas cités je ne mentionnerai que les deux suivants :

Le 28 août 2019, le satellite européen ADM-Aeolus de 1 366 kilos présenterait une chance sur 1 000 de percuter le satellite Starlink 44, de 227 kilos. Devant le silence de SpaceX, l’ESA décide finalement de réaliser une manœuvre d’évitement moins d’une heure avant qu’il croise le Starlink le 2 septembre.

En décembre 2021, la Chine rapportait pour sa part deux collisions évitées de justesse entre sa station spatiale TianHe et des Starlinks à trois mois et demi d’intervalle. Dans les deux cas, la station a dû réaliser une manœuvre d’évitement, tandis que les satellites n’ont pas changé leur trajectoire.

Etc. etc…

Et la POLLUTION apportée par les chers petits joujoux d’Elon ?

N’oublions pas que leur présence est justifiée par l’envie de JOUER EN LIGNE … en payant un abonnement à Monsieur Musk !

« Si SpaceX poursuit son déploiement frénétique, les scientifiques prévoient qu’à l’avenir presque toutes les images crépusculaires prises au ZTF [L’observatoire américain Zwicky Transient Facility, près de San Diego] contiendront au moins une traînée. »

Quant à l’observatoire Vera-C.-Rubin (ou LSST pour Large Synoptic Survey Telescope), en cours de construction au Nord du Chili, on estime que les Starlink pollueront au minimum 30 % des images qu’il prendra du ciel. Rappelons que le LSST est conçu pour remplir de nombreux objectifs tels la réalisation d'un inventaire des objets célestes présents dans le système solaire et localiser les objets géocroiseurs, d'un diamètre supérieur à 300 mètres, susceptibles de constituer une menace pour la Terre, la cartographie de la Voie Lactée, l’étude des phénomènes transitoires dans le domaine optique, la recherches sur la matière noire et l'énergie sombre (https://fr.wikipedia.org/wiki/Observatoire_Vera-C.-Rubin). Il n’est plus question de s’amuser, là.

Et même prises en orbite, près de 3 % des images de Hubble contiennent au moins une traînée générée par un satellite. « Si Elon Musk continue de saccager l’orbite basse, 20 à 50 % des clichés du télescope pourraient en être affectés. »

Mais la pollution, ce n’est pas uniquement les minisatellites qu’on envoie là-haut, ce sont aussi tous les débris qu’on y éparpilles – les ordures de la civilisation – volontairement ou non :

Les États-Unis neutralisent, en 1985, un de leurs satellites scientifiques, devenu inopérant, à l’aide d’un missile tiré depuis un chasseur F15. L’explosion génère 285 débris spatiaux détectables depuis le sol.

Le 11 janvier 2007, la Chine procède à la destruction d’un de ses anciens satellites météorologiques, situé à une altitude de 865 kilomètres, à l’aide d’un missile qui fait le voler en éclats, générant le plus grand nombre de débris de l’histoire du spatial en un seul évènement. Au moins 4 000 nouveaux débris de plus de 10 centimètres ont été recensés, et plus de 40 000 plus petits ont été libérés dans l’espace.

Le 15 novembre 2021, c’est au tour de la Russie de faire feu sur son propre satellite, générant un nuage de débris potentiellement dangereux l’ISS. Une attitude inconséquente qui a poussé la ministre française des Armées d’alors Florence Parly à dénoncer dans un tweet les « saccageurs de l’espace » : « L’espace est un bien commun, celui des 7,7 milliards d’habitants de notre planète. Les saccageurs de l’espace ont une responsabilité accablante en générant des débris qui polluent et mettent nos astronautes et satellites en danger. »


À l’heure où l’on ferme les calanques de Marseille pour cause de pollution par les touristes, si vous êtes en mal de destination, sachez que la société Orbital Assembly promet d’ouvrir dès 2025 les réservations dans un nouvel hôtel spatial qui devrait tourner autour de la Terre à partir de 2027. Baptisé « Voyager Station », ce « parc d’affaires » aux allures de Grande roue pourrait accueillir quatre cents personnes, des hommes ou des femmes tentés par le télétravail en orbite ou de simples touristes.

SpaceX réalise, le 16 septembre 2021, le tout premier lancement embarquant quatre parfaits novices, sans aucun astronaute professionnel pour les accompagner. Ils n’auront pas la chance de visiter l’ISS. La capsule Dragon est larguée à une altitude légèrement supérieure à cette dernière, et les quatre touristes effectuent quarante-cinq tours autour de la Terre en trois jours.

« Le tourisme spatial n’est-il pas, en somme, le révélateur de notre incapacité puérile à refréner nos frustrations ? »

Et ça coûte quoi en GES ? « En une semaine d’apesanteur, ces astronautes du dimanche auront grillé quatre fois et demie le budget total de CO2 qu’un enfant né aujourd’hui devra consommer pendant quatre-vingt-cinq ans si l’on souhaite respecter l’objectif de l’accord de Paris de contenir la hausse des températures à 1,5 °C. »

Les fusées disséminent les produits de combustion dans toutes les couches de l’atmosphère. Certains de ces produits, notamment les oxydes d’azote, participent d’une manière démesurée à la destruction de la couche d’ozone. L’impact sur la couche d’ozone d’un touriste s’adonnant aux vols suborbitaux sera 1 500 fois plus grand que celui d’un Européen en un an et 80 000 fois plus grand pour un vol orbital.


Je vous laisse le soin de découvrir le chapitre intéressant et prometteur sur la reconquête de la Lune, même si certains souhaitent y établir quelque centre de vacances.

Quant à Mars, et ce sera le point final, c’est le Dada utopique du grand prêtre… « Avec un aplomb surprenant, l’entrepreneur-gourou imagine envoyer des colons sur la planète rouge dans des délais délirants. D’abord annoncé dès 2022, le premier pas de l’Homme sur Mars dans une combinaison SpaceX est reporté à 2024, puis 2029, puis 2030. Suivraient des centaines de voyages, tous les deux ans, pendant au moins vingt ans, dans le but d’établir une véritable colonie. […] Exposé par ailleurs aux radiations cosmiques et aux éruptions solaires. Les obstacles psychologiques auront vite raison des équipages. Les effets sur le corps humain d’une gravité trois fois moindre que sur Terre se feront sentir sur leur mobilité ou leurs capacités cognitives. En somme, la base martienne imaginée par Elon Musk, constituée d’un port spatial parsemé de fusées, de pistes menant à des dômes futuristes, de serres foisonnantes et de champs de panneaux solaires à perte de vue, risque fort de ne jamais dépasser les frontières de sa boîte crânienne. »


Philou33
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le 27 mars 2024

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Philou33

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