Faut mettre une note, d'accord, mais ça n'a en l’occurrence aucun sens

Très mauvaise idée d'avoir choisi Les Sept contre Thèbes pour me frotter à Eschyle, pour des tas de raisons qui n'ont sans doute pas grand-chose à voir avec le talent d'Eschyle - encore faudrait-il que je sois capable de mesurer ce talent après avoir lu la traduction d'une telle pièce. J'aurais évidemment dû m'attaquer directement aux trois tragédies de L'Orestie, mais j'ai voulu faire le lien avec Antigone de Sophocle, qui était la dernière pièce grecque antique que j'avais lue et critiquée, et mieux connaître par le biais d'Eschyle les événements mythologiques précédant ceux de la pièce de Sophocle. Voilà qui ne m'aura strictement servi à rien, et certainement pas à apprécier apprécier Eschyle ; j'aurais mieux fait de consulter un bouquin sur la mythologie grecque.


Vite fait, je résume : après l'exil d'Œdipe, ses fils Polynice et Étéocle se partagent le pouvoir pour régner sur Thèbes, chacun restant tour à tour un an sur le trône. Alors, en général, on vous dira que Les Sept contre Thèbes débute au moment où, Étéocle ayant refusé de rendre le pouvoir, son frère Polynice prend les armes contre lui (et contre sa ville) avec six alliés. Il faut préciser que Polynice avait lui-même refusé de rendre le trône auparavant, que le peuple le détestait car il se comportait en despote, qu'il avait été chassé de la cité et qu'il était allé demander la bénédiction de son père, lequel avait fini par maudire ses deux fils en leur souhaitant de s’entretuer, et que Polynice décide tout de même de reprendre Thèbes par la force (les versions peuvent cependant varier). Les Sept contre Thèbes démarre donc bien au moment où Thèbes va être assiégée par Polynice et ses alliés. Bref, tout ça paraît passionnant. Ça ne l'est pas.


Premier problème : j'ai lu la pièce dans une une traduction qui rendait très mal à mon oreille la rythmique et la mélodie de la pièce. Vous me direz que je ne lis pas le grec ancien, que je n'ai jamais lu le texte original, et que n'ayant pas assisté à une représentation des Sept contre Thèbes au Vème siècle avant notre ère, ou d'une autre pièce de la même époque, je suis très mal placée pour juger du rendu de la traduction d'une tragédie grecque antique. Vous n'aurez pas tort. N'empêche que j'ai lu d'autres traductions (d'ailleurs j'ai fini par aller comparer celle que j'avais sous le nez avec une autre) de pièces grecques antiques, et que, quand même, quand on ne ressent pas un tant soit peu la mélopée des lamentations du chœur (le chœur se lamente beaucoup dans les tragédies grecques, c'est une constante qu'on ne saurait nier), c'est gênant.


Second problème, et de taille : Eschyle pratiquait la trilogie liée. Il composait des ensembles de trois pièces (plus une satire) qui, si elles étaient distinctes les unes des autres, n'en n'étaient pas moins indissociables, car le projet du dramaturge visait à mettre en avant une destinée collective (familiale, civique, etc.) à laquelle les personnages ne pouvaient échapper. Pas de chance, il nous reste sept pièces d'Eschyle, dont trois seulement constituent une trilogie liée : c'est L'Orestie. Une seule pièce, Les Perses, ne relève pas du concept de tragédie liée. Quant aux autres, elles font bien partie de trilogies liées, mais on a malheureusement perdu les textes des deux autres tragédies qui leur étaient associées. Donc adieu la cohérence et le projet eschylien, adieu la compréhension directe de la pièce en elle-même, à moins d'avoir une édition très complète sous la main - avec préface, notice, dossier et tout cette sorte de choses à la clé -, ou à moins d'avoir suivi des cours, des conférences ou je ne sais quoi d'autre qui puisse éclairer la pièce. Les Sept contre Thèbes étant la dernière tragédie d'une trilogie liée, même si on connaît l'histoire des Labdacides, on est coupé de toute la destinée familiale et des pièces qui précédaient la nôtre - un Laïos et un Œdipe, si je ne m'abuse -, et on perd tout le fil déroulé patiemment par Eschyle.


Troisième problème : c'est très ennuyeux à lire. C'est le souci quand on est habitué à Sophocle et Euripide, qui manient avec pas mal de verve les dialogues, et qu'on n'est franchement pas familier d'Eschyle, qui, plus vieux que les deux autres, pratique une forme de théâtre plus axée sur le rôle du chœur. Même si Eschyle avait introduit dans le théâtre grec un second protagoniste (un second acteur, alors qu'auparavant il n'y en avait qu'un seul qui échangeait avec le chœur et le coryphée), dans le but, j'imagine, de donner plus de corps aux dialogues, le texte reste plus ou moins figé à mes yeux. Bon, dans le cas des Sept contre Thèbes, il faut bien dire qu'en plus, les répliques du messager, qui vient avertir Étéocle des positions prises par tel ou tel guerrier, c'est pas folichon. Et que j'explique que le premier guerrier est Machin devant la première porte, avec tel armes et tel bouclier, et ceci, et cela, et ensuite même chose avec le second guerrier, et comme ça jusqu'au septième, Polynice. Les précédentes lamentations du chœur et les engueulades d'Étéocle à son encontre passaient quand même mieux. Enfin, quand on entend parler de Polynice, on se dit qu'il va se passer quelque chose, vu que les deux frères vont se battre et s'entretuer comme la malédiction paternelle l'exige. Eh ben même pas, on nous le raconte juste en passant. Donc il faut attendre les répliques alternées d'Antigone et d'Ismène devant les corps de leurs frères pour que ça devienne accrocheur. Sauf que c'est la fin. Le reste (très court) a été ajouté beaucoup plus tard, pour faire le lien avec l'Antigone de Sophocle. Ce qui est vache, soit dit en passant, vu que le personnage d'Antigone défiant l'autorité, c'est très probablement une idée originale de Sophocle ; du coup, là, on fait comme si c'était une idée d'Eschyle, et donc on trahit les deux auteurs en même temps ; allez hop, d'une pierre deux coups !


Je suis donc incapable de donner un point de vue objectif et intelligent sur Les Sept contre Thèbes, vous l'aurez compris : tout s'est ligué contre moi pour que je ne sois pas en condition d'apprécier cette pièce. Non seulement j'ai trouvé ça emmerdant à lire, mais je n'ose même pas imaginer ce que ça pourrait donner sur scène... Je déconseille vivement à qui serait aussi peu habitué que moi à Eschyle de l'aborder avec cette pièce.
Il est probable que lire Les Perses ou, mieux, Agamemnon (première tragédie de L'Orestie), aurait constitué pour moi un meilleur départ. Je vais tâcher de réparer ça du mieux que je pourrai dans un proche avenir, en espérant ne pas avoir été dégoûtée d'Eschyle à tout jamais ; c'est pas gagné, je me suis endormie récemment en essayant de lire *Les Suppliante*s. J'entends encore le bruit du livre tombant sur le parquet tandis que je sombrais dans l'inconscience après n'avoir même pas atteint dix pages...

Cthulie-la-Mignonne
4

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes La mise en scène et la duperie sont des armes puissantes et Lu (ou relu) en 2019

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le 18 janv. 2020

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