Éloge du foirage épique
Malgré son titre un peu facile, Les Super Zéros vous vend exactement ce qu'il prétendait sur la couverture : "ratés, parias, bannis et autres oubliés de l'histoire des comics." Nous voici donc sur...
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le 16 nov. 2020
Oui, les super héros sont partout.
Mais ils n’ont pas attendu le cinéma et les chaînes de contenu pour exister, bien au contraire.
Riche de plusieurs décennies d’existence, et on se rapproche de plus en plus du centenaire pour Superman et Batman, le genre est bien plus riche que ses figures les plus connues ou que de ses plus visibles clichés.
Mais avec une telle richesse, c’est aussi une profusion d’épisodes, une multitude de pages, suffisamment pour ne pas avoir assez d’une vie pour tout découvrir. Et qui le voudrait ?
Avec Les Super Zeros, Ratés, Parias, Bannis et Autres Oubliés de l’histoire des comics, Jon Morris va rechercher dans les interstices de cette longue histoire éditoriale les super-héros les plus marginaux, les plus surprenants, à la durée d’existence souvent à peine plus longue qu’une blague de fin de repas.
C’est fait avec une certaine malice, une légère dose d’humour, un peu d’ironie sur certains héros saugrenus ou d’autres idées plus maladroites. Mais c’est aussi écrit avec une grande tendresse pour ces héros de la marge, un amusement bienveillant mais aussi un certain émerveillement devant certains personnages. C’est ce qui permet à la lecture de ne pas être un simple catalogue médisant, bien au contraire.
D’autant plus que Jon Morris est un curieux et un passionné, et il est bien informé. Il sait de quoi il parle. Son blog (en anglais) est une mine d’or de curiosités et de pépites parfois dénichées par la force de sa détermination, même s’il a la sympathie de remercier ceux qui l’ont aidé dans ses recherches à la fin de cet ouvrage qui regroupe plusieurs de ces portraits.
Ces portraits des (pas) illustres ne représentent donc pas qu’une curiosité pour geeks, mais aussi un véritable documentaire qui décrit entre les lignes l’histoire d’un genre, de ses auteurs mais aussi de ses modes. Il faut produire, il faut créer, alors parfois on copie ce qui marche, chez la concurence ou dans le cinéma.
Cela va ainsi des premiers super-héros dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, avec des héros patriotiques comme « War Nurse », l’infirmière militaire, qui vont se battre sur les fronts, ou combattre les nazis infiltrés, tellement nombreux, répondant ainsi à un certain élan de l’engagement civil tout en rappelant la paranoïa d’époque. Le pouvoir de l’atome découvert, il sera la source après la guerre de nombreuses explications farfelues aux pouvoirs de certaines figures. Le contexte politique infusant dans les comics, il sera parfois plus évident, d’un bord à l’autre comme Prez, adolescent aux bonnes intentions et surtout président des Etats-Unis, ou Killjoy de Steve Ditko, satire conservatrice d’un certain gauchisme. Plus proche de nous, les années 1980 et 1990 et le retour à l’ordre moral et politique, concluent l’ouvrage, avec leur cortège de héros sinistres ou militaristes, comme Gunfire (1993) qui peut transformer n’importe quel objet en arme à feu.
Mais de manière plus générale, la plupart des personnes ici présentes le doivent aussi à des origines amusantes, entre méli-mélo mythologique (Speed Centaur - 1939, un centaure justicier, normal), scientifique (merci l’atome, l’électricité ou autre phénomène scientifique plus ou moins inventé – pour Holo-Man, c’est la « fusion thermo-nucléaire déclenchée par laser », combo) et autres idées farfelues.
Au fil des pages et des années, c’est aussi une société qui se découvre avec ses modes et son contexte culturel. Mr Muscles (1956), apôtre du culturisme, acquiert ainsi sa force et sa robustesse par sa volonté et son entraînement alors qu’il était condamné à la paralysie à cause de la polio, une maladie depuis éradiquée ou presque grâce à la vaccination. En 1983 Skateman de Neal Adams est ainsi un justicier qui se bat sur une planche à roulettes. La même année U.S. 1 réinvente la culture des routiers dans un space-opera chez Marvel.
Parmi les nombreux angles possibles qui peuvent relier certaines de ces créations maladroites, il faut aussi souligner les créations publicitaires avec Captain Tootsie, défenseur de la Terre mais aussi des biscuits du même nom dont il fait la promotion en 1943. AAU Shuperstar héros aux chaussures utiles pour combattre le crime, est le personnage de plusieurs publicités en 1977. Ou bien NHL Superpro crée en 1991, évidente mascotte pour la ligue de football américain, dont les super-capacités lui proviennent tout de même de la respiration de substances toxiques et chimiques crées par l’incendie de pièces de musée de ce sport. Il fallait oser.
Bien sûr, il y a aussi tous ces héros bien intentionnés mais trop saugrenus pour avoir la chance de perdurer, peu importe le contexte. Une pensée donc pour The Clown (1941) héros qui porte bien son nom, The Eye (1939), un gigantesque œil flottant omniscient et omnipotent mais pas très sympathique, Madam Fatal (1940), la Madame Doubtfire de la luttre contre le crime, Mother Hubbard (1941), sorcière peu esthétique, inspirée d’une comptine anglaise, Captain Marvel (1966), ni celui de Marvel et de DC, mais qui pouvait séparer ses membres, un Dracula super-héroïque de 1966 avec ses dents et ses collants ou l’année suivante Fatman the Human Flying Saucer, obèse costumé qui pouvait se transformer en soucoupe volante.
Ces créatures de papier ont été les tentatives lancées par une multitude de maisons d’édition, certaines oubliées, d’autres rachetées par d’autres compagnies, mais aussi par les plus fameuses d’entre elles, DC et Marvel, qui auront essayé quelques approches. Jon Morris en profite pour dresser leurs portraits en quelques lignes dans certains portraits, faisant revivre des compagnies qui auront tenté leur chance ou rappelant certains soubresauts du monde de l’édition.
On pourrait d’ailleurs croire que ces créations qui n’auront pas rencontré un grand succès à leur sortie (mais parfois plus tard, comme Ecureuillette ou Peacemaker) ont été le fruit d’anonymes ou d’artistes oubliés. C’est le cas, même s’il y a des redécouvertes à faire, comme l’étrange Fletcher Hanks et ses héros baroques, édité chez nous il y a quelques années. Mais certains grands noms du comics sont au programme, tentant encore et toujours de proposer de nouveaux héros. Bill Everett (créateur de Namor et co-créateur de Daredevil), Joe Simon (co-créateur de Captain America), Will Eisner, Jack Kirby ou même Stan Lee (son Ravage de 1992 est de triste mémoire) sont ainsi de la partie.
C’est l’occasion de les présenter mais aussi de rappeler que la vie d’un artiste de comics n’était pas de tout repos, et qu’il valait mieux ne pas se heurter aux maisons d’éditions qui avaient les moyens de vous écraser. Jerry Siegel et Joe Shuster ont beau avoir été les créateurs de Superman, leur licenciement de DC Comics pour avoir osé demander une meilleure part du gâteau les a obligé à créer de nouveaux héros pour espérer retrouver le succès, ce qu’ils n’obtiendront pas.
La mise en page de l’ouvrage permet de profiter des atouts visuels de chacune des créations avec une ou parfois plusieurs illustrations ou couvertures, selon que le portrait fait 2 ou 4 pages. Vu l’ancienneté et l’insuccès de certains des comics, il faut saluer la qualité des images retrouvées et ici proposées. La curiosité est tellement de mise que parfois le lecteur voudrait en voir encore plus, d’autant plus avec un texte qui relate avec gourmandise certains des hauts faits des personnages.
On pourrait tiquer sur la présence de certains de ces personnages, mais c’est aussi par simple préférence du lecteur. Si Le Fils de Satan crée en 1973 est présent, c’est parce qu’il illustre une certaine mode de l’époque, liée à l’occultisme, et que ses premières représentations n’étaient pas des plus heureuses. Rom, qui est l’un des rares héros présents à avoir eu une longue carrière avec 79 épisodes entre 1979 et 1986 provient à la base d’une tentative de marketing autour d’un jouet qu’il dépassera en popularité. Une série d’ailleurs culte en France, en cours de réedition dans un copieux format par Panini. L’amateur pourra toujours s’étonner de certains oublis, j’aurais ajouté Dazzler, héroïne emblématique du disco (au pouvoir lié au son, avec paillettes et patins à roulettes), mais c’est Jon Morris qui a décidé.
L’édition française ne propose pas un index des traductions des aventures de certains de ses personnages, afin de pouvoir retrouver les quelques uns qui auraient amerri chez nous. Cela aurait été un luxe appréciable. Car même si la très grande majorité n’a pas été traduit certains l’ont été, parfois dans des publications connues (le grand Rom a été un des chouchous de la mythique revue Strange dans les années 1980). Il faudrait arpenter les bouquinistes, les vide-greniers et les sites d’occasion pour les retrouver. En bonus, nous avons tout de même une préface de Xavier Fournier, grand historien du comics en France, rédacteur de la célèbre revue Comic Box (qui m’a tout appris) et de plusieurs ouvrages sur le sujet.
Super Zeros est donc un ouvrage intéressant, bien loin d’une liste méprisante de noms moins célèbres ou d’un inventaire un peu vain. Jon Morris s’amuse avec respect de ces marginaux tout en dressant par petites touches le portrait d’une industrie culturelle qui a traversé plusieurs décennies, parfois avec pertes et fracas. Un hommage cultivé mais accessible, pour dessiner un autre pan du monde des comics, celui de tentatives et d’échecs, de propositions loufoques, d’artistes en recherche de la nouvelle star.
Continuant sur sa lancée, et parce que le monde de la bande dessinée américaine est encore riche de propositions saugrenues, Jon Morris a publié d’autres ouvrages sur les super-vilains ou les partenaires de super-héros, toujours avec cet angle. Ils sont malheureusement inédits sur notre territoire.
Créée
le 10 mai 2025
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