En 93, je découvre « Short Cuts » au cinéma. C’est le coup de foudre absolu. Le réalisateur, Robert Altman, s’est inspiré de plusieurs nouvelles de Raymond Carver. Je ne connais pas Carver. Je m’y plonge. Et là… Je suis soufflée non seulement par la très grande maîtrise dont l’auteur fait preuve dans l’écriture de ses nouvelles, mais surtout par l’immense humanité qui se dégage de chacune d’elles. Il met en scène des fragments de vie. Des vies banales, tristes, des gens tout simples, à la dérive, qui recherchent un peu d’amour, un peu de bonheur ou juste un moment de répit. On est dans un tableau de Hopper. A priori, il ne se passe pas grand-chose. Mais les silences en disent long. Carver, c’est l’art de l’ellipse...

Parlons d’abord de l’écriture : les phrases sont courtes, concises, le vocabulaire très simple. En trois mots, la situation est posée. Ce que j’aime particulièrement chez cet auteur, c’est l’art de la trouvaille génialissime, du détail qui ne s’invente pas. Un exemple : dans « Plumes », une femme, invitée pour la première fois chez des amis de son mari, balaie du regard la salle à manger. Et là, elle remarque des dents en plâtre posées à côté de la télé. En fait, ce moulage de dents est une espèce de métonymie évoquant les gens qui vivent dans ce lieu, leur histoire. Il faut être très fort, me semble-t-il pour penser à ce petit détail et pour en tirer toute la force d’une nouvelle. Un autre exemple : dans «Attention », un couple qui vient de se séparer se retrouve : la femme veut revoir son ex pour une raison précise que l’on ne connaîtra jamais. Pourquoi cela ? À cause du bouchon de cérumen qui empêche l’homme d’entendre les propos de sa femme, ce qui le rend fou… Cette dernière, venue pour une raison bien sérieuse, se retrouve à lui enfoncer dans l’oreille une pince à ongles. La scène est drôle et tragique à la fois. La communication n’a pas eu lieu à cause de pas grand-chose. Mais en même temps, pendant cette demi-heure qu’ils ont passée ensemble, ils sont étrangement redevenus un couple...

Ce que j’aime aussi chez Carver, c’est son humanité. On sent qu’il aime ses personnages dont on découvre un fragment d’existence. Il n’y a pas les gentils et les méchants. Non : ils ont tous leurs raisons, ils font ce qu’ils peuvent. La vie est rude et faut faire avec. Ils ont souvent des problèmes d’argent, de couple, de travail, d’alcool. Ils se mentent, se désirent, se séparent, perdent un proche. Ils sont seuls. La vie continue dans toute sa banalité, malgré le chaos… On sent toute la fragilité qui est la leur. À la fin de la nouvelle, rien n’est résolu. J’ai lu ici ou là que l’auteur laissait ses personnages au bord du vide. Comme dans la vie, j’ai envie de dire… Après, à nous d’imaginer ce qu’ils deviendront ou de les laisser suspendus au bord du précipice, à deux doigts du désastre.

Oui, vraiment, j’adore Carver ! Connaissez-vous cet auteur ? 


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le 17 sept. 2025

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