Pour écrire sur la nature avec autant de précision et d'amour, il faut l'avoir bien connue. Tout au long de ces "lettres" (mais ce sont plutôt des nouvelles), Wallace Stegner rappelle régulièrement qu'il a vécu les meilleures années de sa vie en grandissant dans le Saskatchewan (non loin de la frontière avec le Montana), à l'air libre, dans un quasi-isolement, séparé du premier voisin à la ronde par 6 km. Là, il a grandi au contact des animaux, et surtout de paysages qui l'ont formé en tant qu'homme (on lit des passages sur la beauté des couleurs des paysages des Etats de l'Ouest).
L'omniprésence des espaces naturels dans sa tendre enfance a produit un ensemble de valeurs constitutives de la personnalité de cet auteur. Plusieurs lettres montrent combien il est attaché à la préservation de l'environnement, et ce, bien avant les années 90. (J'aurais d'ailleurs apprécié que les dates de première publication soient rappelées à côté du titre de chaque nouvelle. Elles sont néanmoins trouvables au tout début du livre).
Si aujourd'hui nous sommes face à l'urgence climatique, il faut rappeler qu'ils sont nombreux à avoir pris position pour la sauvegarde de l'environnement, et n'ont que trop rarement été entendus. Je pense aux scientifiques, dont les voix sont régulièrement étouffées..., mais également à des auteurs comme Wallace Stegner ou Edward Abbey, pour qui la préservation de paysages uniques et naturels, comme les canyons en Utah ("Désert Solitaire" d'E. Abbey est une merveille de textes dénonçant sans ombrage le tourisme de masse dans des lieux qui devraient rester protégés), est un sujet cher à leur coeur.


Wallace Stegner profite de quelques-unes de ces lettres pour rappeler la nature profonde du citoyen Américain, et plus particulièrement de l'homme de l'Ouest : un être constamment en mouvement, se déplaçant au gré de ses opportunités ou pour tenter sa chance ailleurs. Si certains ont appris à s'adapter à la nature, nombreux (trop nombreux), sont ceux qui ont voulu s'en emparer, détourner des cours d'eau, assécher des terres, creuser des galeries pour différents types d'extraction. Ou encore cet architecte rencontré par l'auteur, si fier d'avoir érigé une maison en plein milieu du désert californien, qui plutôt que d'être adaptée à l'environnement, le défie par ses formes et ses prouesses techniques. Car le vrai sujet est là : l'homme de l'Ouest, en "être civilisé", a voulu mater les espaces naturels pour son propre confort et parce que rien ne l'empêchait d'essayer. On constate de plus en plus les conséquences aujourd'hui : incendies à répétition en Californie, sécheresse dans les Etats de l'Ouest : fonte des glaciers, lacs de barrages hydrauliques à sec. Au final un épuisement des ressources terrestres par une surpopulation agglomérée dans la mégalopole "SanSan" (de San Diego à San Francisco).


Wallace Stegner n'était peut-être pas un visionnaire, quoique... Son propos est teinté de réminiscences de son enfance, une vie où il a pu explorer les espaces sauvages, qui nous est totalement inconnue mais dont on perçoit les empreintes qu'elle a laissées en lui et qui ont forgé son caractère et ses valeurs. C'est un homme qui a su s'adapter aux changements et aux progrès, cependant il est conscient de l'impact de ceux-ci sur ce qu'il appelle "le monde sauvage". A la lumière d'époques passées, Wallace Stegner nous alerte sur l'état du monde (ou en tout cas de l'Ouest américain mais on n'est pas loin de faire les mêmes bêtises qu'eux, alors bon...) mais surtout sur nos comportements vis-à-vis de notre environnement. Il ne juge pas, il éclaire simplement, en nous donnant juste ce qu'il faut pour y réfléchir un peu.


"Nous nous situons tous quelque part sur une longue courbe entre l'ignorance écologique et la responsabilité environnementale."


[Mention spéciale pour la toute première lettre, qui m'a fait verser quelques larmes : l'auteur s'adresse directement à sa mère, décédée quand il était jeune. Il raconte brièvement la vie de cette femme, qui en a franchement bavé.]

Jude
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le 27 févr. 2022

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