Avant de parler du livre, je crois qu’il faut que je parle de moi, ou du moins de ce que j’attendais en l’ouvrant. J’aime profondément l’esthétique liminale, cet entre-deux diffus entre rêve et inconfort, entre beauté figée et angoisse silencieuse. C’est une fascination que j’ai depuis des années, bien avant que le terme devienne aussi populaire qu’aujourd’hui.
Parmi les voix qui savent en parler avec justesse, il y a Alt236. Ses vidéos m’ont souvent donné l’impression d’être accompagné par un guide curieux, érudit mais jamais prétentieux, capable de dégager une poésie là où d’autres n’auraient vu que des couloirs vides ou des images glitchées.
Alors, quand j’ai su qu’il sortait un livre sur ce sujet, je n’ai pas hésité.
Je m’attendais à une plongée, à une tentative sincère d’attraper cette chose fuyante qu’est le "liminal". Peut-être une exploration des origines de cette esthétique, ou une analyse sensible de ce qu’elle provoque en nous. Entre angoisse, nostalgie, vertige et beauté.
Puis... Dans les faits, Liminal tente tout cela, mais il ne le fait qu’à moitié.
Ce n’est pas un mauvais livre.
Loin de là.
On sent l’amour d’Alt236 pour ce qu’il raconte.
On retrouve ce ton de conteur passionné, presque intime, cette manière de glisser d’un sujet à un autre avec naturel, comme dans ses vidéos YouTube. Il y a des pistes de réflexion intéressantes, des ponts jetés entre architecture, cinéma, peinture, jeux vidéo, musique, qui forment une constellation autour du thème central. Il y a aussi des œuvres évoquées que je ne connaissais pas, et que j’ai notées avec l’envie sincère d’y plonger plus tard. En ce sens, le livre fonctionne comme une porte d’entrée. Une sorte de guide de voyage dans les marges de la culture.
Mais voilà, très vite, quelque chose cloche. Très vite, on a l’impression que le livre se contente de juxtaposer des références. Une image, une œuvre, un souvenir, une phrase pour dire "ça aussi, c’est liminal", puis on passe à la suivante. à force de ce jeu d’accumulation, on en vient à se demander "mais où est le propos ? Où est la colonne vertébrale ?"
Le sommaire promettait une réflexion sur le pourquoi ces choses nous angoissent et finalement, on n’a que des fragments. De jolis fragments, oui, mais qui peinent à s’assembler. C’est un peu comme feuilleter un carnet d’inspirations d’un créatif, mais sans toujours comprendre ce que ça construit derrière.
On a clairement à faire au fan de pop culture, qui a envi de déballer la bonne masse de référence qu'il a pu accumuler pour traiter d'un sujet qui le passionne... Sans jamais aller plus loin.
Comme un type que tu croiserais en soirée, n'étant capable que de te dire "ah et tu connais ça? tu as vu ça?" sans jamais que la discussion ne s'envole...
Il y a de très beaux passages, je ne vais pas mentir.
Certains paragraphes m’ont fait sourire ou hocher la tête, retrouvant cette petite vibration que j’ai déjà ressentie en regardant ses vidéos. Mais à d’autres moments, j’ai vraiment eu l’impression de lire une vidéo YouTube écrite, avec les limites que ça implique... Moins d’argumentation, plus de ressenti brut, et surtout une forme un peu décousue. Ceux qui ne connaissent pas Alt236 risquent de décrocher, et même les fans pourraient ressentir un certain manque d’épaisseur analytique.
C’est dommage, parce que je crois qu’il y avait matière à aller plus loin. À questionner, par exemple, le lien entre esthétique liminale et anxiété contemporaine. Ou à plonger dans la manière dont certains jeux vidéo utilisent cette esthétique non pas comme simple décor, mais comme mécanique de gameplay (je pense à Anodyne, à Pathologic, voire The Cat Lady). Il y avait de la place pour ça. Mais le livre préfère garder une posture plus contemplative, presque passive. On nous montre, on ne nous guide pas toujours.
à mon sens, c'est le plus gros point noir de cet ouvrage...
Cela étant dit, Liminal reste un bel objet. L’édition est soignée, les images bien intégrées, et pour peu qu’on écoute Leviathan ou Anemoia en fond pendant la lecture, on se retrouve dans une bulle sensorielle agréable. Mais même là, il me manquait quelque chose. Une voix un peu plus ferme, un peu plus construite, pour m’accompagner dans ce dédale flou.
Alors non, je ne regrette pas ma lecture. Mais je suis ressorti avec ce sentiment étrange d’avoir été effleuré sans être vraiment saisi. Comme si Alt236, à force de vouloir tout montrer, avait oublié de vraiment raconter. Je referme le livre avec une certaine tendresse, mais aussi une frustration. Parce que ce qu’il touche est précieux et que son auteur est plein de talent, mais ce qu’il en fait reste, pour moi, un peu fade et vague.
J'espère que ça ne fera pas mauvaise pub à ce très bon youtuber ainsi qu'à cette esthétique encore trop peu connu à mon sens.