Un vaccin contre la barbarie des hommes…

Ce livre « Loin de chez moi » porte le sous-titre de "Grand reporter et fille de paysans", ce qui est incontestable, mais il serait plus approprié s’il précisait : "Grand reporter et … maman !", car Maryse Burgot ne cesse de le répéter, quand bien même cela paraîtrait incompatible : « Plus que je n’aurais jamais imaginé. Grand reporter, oui. Reporter de guerre, parfois. Reporter tout court, souvent. Mais aussi et surtout, mère. »

Maryse Burgot est née le 24 juin 1964 à Combourg (Ille-et-Vilaine), c’est une journaliste française de télévision. Mais Combourg, ville de 6200 habitants, est beaucoup trop importante pour Maryse qui revendique pour village natal Bazouges-la-Pérouse (à 7 km de Combourg) de 1860 âmes dont l’office du tourisme affirme qu’il s’agit d’une petite cité de caractère… au nom ô combien pittoresque.

Elle fait des études de lettres modernes à Rennes, avant d'entrer au Centre universitaire d'enseignement du journalisme à Strasbourg dont elle sort diplômée en 1989.

C’est en 1994, en Inde, où France 2 l’a envoyée faire un reportage sur une épidémie de peste qui sévit au nord de Bombay, qu’elle attrape un virus. Le virus de l’information. Elle va y découvrir un métier qui fait florès : « Tueurs de rats ». Et, nous dit-elle, c’est en suivant les exploits un de ces Tartarin indiens que « Je prends conscience, à cet instant précis, que si le métier de grand reporter ressemble vraiment à cela, je vais vivre des moments ahurissants, insensés, hors norme. » Et elle ne doutait pas à quel point !

Alors, elle va demander à parcourir le monde pour couvrir les grands évènements qui bouleversent l’actualité.

En 2001, ce sera l’attentat des tours jumelles du Word Trade Center et ses quelque 2800 morts. Un an plus tard, en septembre 2002, « J’écoute un enfant de douze ans parler si calmement devant notre caméra. […] L’enfant me raconte qu’il a vu les corps tomber, ces personnes qui se jetaient par les fenêtres des tours jumelles pour échapper aux flammes. […] Cet enfant a connu le chaos, la panique et le bruit d’un corps jeté dans le vide qui s’écrase sur le bitume. Le temps de l’innocence est derrière lui. » Et comme à chaque fois elle pense à ses propres enfants.

Cinq mois plus tôt l’équipe de Maryse avait tourné un portrait d’une famille d’agriculteurs à une heure de Bagdad. Ils racontèrent qu’après les terribles bombardements de l’opération « Tempête du désert » et onze années d’embargo, ils ont été « fous de joie » quand les terroristes ont percuté les tours !...

2002-2003, elle établit une permanence à Bagdad et est présente quand, le 20 mars 2003, George W. Bush, et la coalition, déclare la guerre à l’Irak, sans l’aval de l’ONU.

En 2004, un tremblement de terre de magnitude 9,3 provoque une vague monstrueuse qui va dévaster l’Indonésie, le Sri Lanka et la Thaïlande, faisant près de 300 000 morts.

Pour voir grandir ses enfants, elle postule pour un poste de correspondante permanente en Grande-Bretagne (2005-2009).

De 2009 à 2014 elle est attachée au bureau de France Télévision à Washington DC. Elle rapporte, entre autres, qu’en 2012, le nouveau Président français, François Hollande participe au G8, il vient accompagné de sa compagne du moment, Valérie Trierweiler, une union libre très commentée : « Ce serait impensable chez nous » s’offusque la vertueuse Vox populi qui, par ailleurs, n’hésite pas à élire un président sous le coup de 36 chefs d’inculpations…

2010, c’est Haïti et le tremblement de terre qui a fait plus de 230 000 morts.

Etc., etc…

2022-2024, elle assiste à la transformation et martyrisassions de l’Ukraine. Au travers de douze missions de trois à quatre semaines jusqu’à ce jour, c’est :

- Cette école transformée en "usine à cocktails Molotov" et sa directrice transformée en cheffe de guerre.

- C’est Andrei, 20 ans, qui a laissé son tracteur pour les entrailles d’un vieux char et qui envoie un SMS à ses parents au départ et au retour de chaque mission « Je veux qu’ils sachent, j’ai le sentiment que cela va me protéger. »

- C’est ce père qui s’est fait mobiliser pour être à côté de son fils dans un vieil obusier : « Ils ont sceller un pacte de vie. »

- C’est ce jeune de 20 ans amputé des deux jambes au-dessus du genou qui apprend à ne pas tomber avec ses prothèses.

- C’est cet autre, amputé également, qui vient lui dire qu’ils vont séduire toutes les filles avec leurs allures de Robocop.

- C’est cette quinquagénaire qui a eu la jambe déchiquetée par un obus au moment où elle sortait dans son jardin.

- C’est cette octogénaire qui trouve un soldat, torturé par les russes, dans son jardin, en territoire occupé, qui le cache dans sa cave, le soigne et le sauve au péril de sa vie.

7 octobre 2023, c’est l’attaque du Hamas contre Israël, faisant 1189 morts et 52 otages côté israéliens. Et c’est la riposte d’Israël dont on ne compte pas les victimes ni les destructions…

Ce livre n’est pas un roman. Mais il se lit comme un roman. Un roman tragique et bouleversant où les hommes s’entretuent et s’entredéchirent pour de vrai et où Maryse, au péril de sa vie, s’applique à rendre compte, au jour le jour, de la folie des hommes, sans jamais prendre parti, mais avec une humanité à toute épreuve, en permanence guidée par la référence à ses enfants : « Et si mes garçons… »

Lire ce livre et côtoyer les atrocités dont sont capables les hommes, si c’est un vaccin contre la barbarie, ce n’est pas par une banalisation de l’horreur, mais par un rappel à l’Histoire comme l’évoque Maryse : « Je me dis que d’autres hommes trouveront aussi, le chemin vers la paix au Proche-Orient, en Ukraine et ailleurs. Y a-t-il d’autre choix que d’y croire ? Un devoir d’optimisme au nom des enfants des autres et des miens. »