Loveless
7.2
Loveless

livre de Alice Oseman (2020)

Incontournable Mars 2022


"Loveless" a été amorcé en mars, mais voilà que Décembre s'achève, ainsi que l'année 2022, donc je dois amoindrir ma pile-à-lire de libraire jeunesse si je veux commencer mon année sans 25 livres à finir. Donc, malheureusement, j'ai du abréger ma lecture. Ce n'est pas un mauvais roman, au contraire, mais il est costaud et je pense en avoir cerné l'essentiel. Et puis, je dois avouer que cela me fait très plaisir d'avoir un personnage qui correspond à la lettre "A" du LGBTQIA+.


Notre protagoniste se nomme Georgia Warr et a 17 ans, elle fait parti de ces filles qui, en dépit d'un amour et d'un certaine idolâtrie pour les histoires romantiques, n'a jamais été en couple. La future universitaire se met beaucoup de pression à trouver un jeune homme avec qui former un couple, mais elle semble avoir un certain dégout pour tout ce qui est rapprochement intimes, même les baisers. Espérant sortir un peu de sa coquille, la jeune femme intègre une équipe de théâtre, une fois rendue à l'université. Entre ses anciennes amitiés profondes et les nouvelles, Georgia sera appelée à redéfinir sa vision des choses quant à son orientation sexuelle et l'importance de ses amitiés. Après tout, être asexuelle ne signifie nullement être incapable d'amour.


J'aimerais préciser un aspect concernant l'asexualité: comme toutes les autres orientations, elle ne possède pas une définition nette et finale. Georgia est ce qu'on appelle "asexuelle aromantique", ce sont ceux et celles qui ont très peu, voir pas d'appétit sexuel pour les autres, mais qui ont en outre très peu ou pas d'attrait envers les genres. En ce sens, certain.es. sont hétéromantiques, homoromantiques ou même panromantique: ils/elles ont peu ou pas d'appétit sexuel, mais sont tout-de-même attirés par un/des genre.s, que ce soit le même qu'eux ou non. En outre, certain.e.s pratiquent la masturbation, d'autres non. Certain.es. seront en couple sans sexe, d'autres en auront, que ce soit dans une relation de longue date qui a un aboutissement en ce sens ou qu' avec le temps, des compromis ont été faits sur cette question. Bref, si on y regarde de plus près, il existe bien des façons d'être asexuel.le, et généralement, leur trait commun est leur très faible libido et leur attrait vraiment bas pour le sexe. Georgia n'est donc qu'une façon de l'être, mais certainement pas la seule.


Ce personnage semble avoir un dégout pour tout ce qui est rapports intimes, dont le fait d'être embrassé. En outre, elle semble surtout victime de la pression sociale. N'oublie pas que nous sommes dans une ère hypersexualisé, après de longues périodes historiques ou le sexe a été diabolisé et condamné. Ce retours de balancier ne vient pas sans heurts: Il semble que maintenant , le sexe soit devenu un sport national: il régit les codes esthétiques corporels, il s'émissent dans la culture, autant dans les romans que les films, il soumet les hommes à la pression d'être ultra-performants même en âge avancé, aux femmes d'être des bombes sexuelles ultra-désirables, aux ados d'être précoces et même, s'amalgame beaucoup trop à la notion "d"amour". Nous en avons des exemples flagrants avec des romans comme les Twilight, ou la seule préoccupation de l'adoldescente est de baiser le beau vampire, quitte à se mettre en danger et à se déshumaniser pour cela, dans les Fantasy comme Palais de Roses et d'épines, ou on surutilise le sexe pour augmenter la tension "de désir" ( je n'ose pas dire "amour", ce n'en est pas) ou dans les douze romans École de la nuit, ou une ado collectionne les mâles toxiques, trop beau et ténébreux. Pire, si on regarde les romans ado et jeune adulte seulement, on remarque même que les personnages féminins sont souvent envoyés au sexe comme un passage obligé et histoire de mettre du drame, on les confine au rôle de petite brebis vierge pure et gentille. Enfin, les personnages féminins sont d'abord utilisés comme des objets de romance, comme si la seule finalité des filles était d'être en couple. Ce n'est vraiment pas le cas des personnages masculins, en revanche, pour qui la romance est plus souvent un bonus, et ce avec une fille qui a toutes les qualités. Bref, oui, l'hypersexualisation met de la pression, parce qu'elle est partout et qu'elle régit plusieurs sphères sociales. Imaginez maintenant être asexuel.le dans ce monde là.


La fin du roman s'ouvre justement sur la question de la pression sociale en matière de sexualité, spécialement chez les ados. Pour certains, devenir adulte, c'est baiser une première fois. Quand entend-on plutôt que c'est le premier amour, ou le premier travail ou même que c'est vers 25 ans, quand le cerveau humain est enfin pleinement opérationnel ( le cortex pré-frontal finit de se développer à 25 ans)? Aussi, c'est entre nous que cette pression s'excerse et ce souvent de manière inconsciente. On ne se rend pas compte dans notre façon de ridiculiser les célibataires, dans notre façon de glorifier les couples sur les réseaux sociaux et de mettre autant d'importance sur le "statut" que nous créons un monde qui met la pression à être en couple, et pour les mauvaises raisons en plus. Combien de livres ai-je lu ou des petites ados éffarouchées sortaient "pour de faux" avec des bad boys ténébreux..."Faire semblant d'être en couple", pour mieux le devenir après, est un comble de fausseté relationnel, mais il se vend comme des petits pains chauds, parce que c'est socialement ce qui est voulu: être un célibataire, c'est être "loser", tous les moyens sont bons pour redorer son image, quitte à sortir avec un salaud. Terrible, je trouve.


Il faut dire aussi que comme Georgia nous le montre, le fantasme amoureux peut devenir vicieux, quand nos seules références relèvent des histoires écrites par des filles qui n'en savent elles-mêmes pas grand chose ou qui se réfèrent à des fantasmes. Carburer aux romans sentimentaux et érotiques n'est pas une mauvaise chose en soit, mais elle peut néanmoins biaiser la réalité, quand on en sait pas distinguer la réalité de la fiction . Georgia nous en parle, elle aime ces histoires où tout est tendre et parfait, mais malheureusement, la réalité est que la première fois sexuelle est bien souvent maladroite et risque d'être décevante, que les "Amour avec un grand A" sont rares et que le couple requiert beaucoup plus qu'un état de béatitude stupide. Je remarque donc que ce personnage a de quoi être déçue parce qu'elle a des attentes irréalistes. Pire que ça, elle ne tient pas compte du fait que tout ce côté sexualisé ne lui convient pas. Georgia tient surtout compte de la norme, à tout le moins sa conception de ce qui est la norme, en fait, cette espèce de ligne directrice qui veut que "les filles aiment le sexe et les rapports amoureux et que l'un oblige l'autre". Le danger de suivre ce qui ressemble à la normalité est que nous risquons aussi de ne pas remettre en question ou explorer de ce convient à nous.


Autre élément: le sexe et l'amour ne sont pas forcément reliés. On peut aimer sans faire l'amour, autant qu'on peut baiser sans amour. Le problème est qu'encore une fois, on présente la sexualité comme un incontournable de l'amour, parfois même un prérequis à l'amour et très souvent on présente l'acte seuxel comme le paroxysme de la romance, l'aboutissement final, autant dans la culture littéraire que la culture cinématographique. Quand on sort de cette fausse logique, on se rend compte, et c'est particulièrement vrai pour les asexuels, que c'est la personne qui devrait être au centre du sentiment amoureux, pour sa personnalité, sa complicité, ses projets communs, ses qualités, son charisme et/ou son intelligence. En claire, aimer la personne pour son fond et non sa forme. Dans le roman, on joue sur ce thème, parce que le jeu des apparences est quelque peu faussé pour Georgia, qui navigue avec la fausse logique sexe=amour.



"Je ne veux pas finir sans amour", disait Georgia. Ce qui est intéressant dans ce roman et qui peut être très pertinent autant pour les asexuels que les autres groupes sexuels est le fait que tous les humains ont besoin d'amour. C'est la base, c'est même l'enjeu le plus évident en matière de sain développement de l'humain. Cependant, dans nos sociétés. peu importe laquelle, nous avons hissé le couple au dessus de tout, comme l'ultime réussite sociale et affective. Une erreur, je pense. Après tout, qu'en est-il des amitiés sincères? Des familles tissées serrées? Des communautés ? On oublie que le/la conjoint.e n'est pas le seul garant d'affection. Dans le roman, on le voit bien se profiler: Qu'importe si Georgia n'est pas en couple, elle a des amis en or, impliqués, présents, complices et tendres. Pour certains humains, avoir une famille et des amis aimant est suffisant et même plus important que ce couple tant glorifié. Et ça compte. Toutes les affections saines comptent.



En même temps, c'est une réelle inquiétude pour les gens ne ne pas finir seuls, en cela, la préoccupation de Gergia est légitime. Nous sommes des animaux grégaires, nous évoluons et vivons en groupe. Avoir le sentiment d'être incluts, d'être apprécié et de recevoir de l'affection est donc naturel, voir essentiel. Mais comme je le disais, le calcul que ne faisait pas Georgia était de considérer d'être possiblement "entourée" autrement que par un homme avec qui elle formerait un couple.



Je remarque que je parle peu de l'action du livre, en fait. Il faut dire que je me suis rendue au tiers et lu la fin. Je dirais que l'action est plutôt lente et que ma nature introspective passait son temps à philosopher à chaque constat pertinent, ce qui me ralentissait encore plus. Je retiens surtout que c'est une jeune femme qui découvre l'université, un univers beaucoup plus libre que l'école secondaire ( surtout que les jeunes états-uniens ne connaissent pas le Cégep, qui constitue une excellente préparation et transition vers l'université au Québec) et qui favorise une ouverture différente sur le monde. Le théâtre est un thème récurent chez les auteurs des États-Unis, je trouve, comme si c'était la seule avenue possible pour les introvertis de se découvrir une expression de soi, ce qui tend à m'agacer un peu. Néanmoins, ça reste un roman pertinent sur le sujet de la scolarité, des amitiés et de la vie des vieux ados qui amorcent leur vie de jeunes adultes.



Autrement, le rythme est lent, le traitement doux, comme le furent les Heartstoppers de l'autrice. Je déplore encore ce titre en anglais, absolument pas nécessaire et facilement traduisible. Un bon roman pour les lecteurs qui apprécient les tranche-de-vie et les histoires de coeur qui sortent des sentiers battus ( pour ne pas dire "asphaltés" rendu à ce niveau de déjà-vu), ainsi que ceux et celles qui souhaiteraient découvrir une des façon d'être asexuel.le.


Pour un lectorat à partir du second cycle secondaire, 15-17 ans+

Shaynning

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