Max est un drôle de gamin. C'est le premier né du lebensborn, ce projet eugéniste ahurissant des nazis, né le jour anniversaire du Führer et baptisé en sa présence. Un gamin allégorique capable de penser dès le sein de sa mère biologique. Une éponge de la pensée nazie. Une caricature.
J'ai lu ce livre car il avait été conseillé aux élèves de la classe de mon fils, en 4ème. J'en sors avec des sentiments partagés.
La première partie du livre, celle "d'avant Lukas", est une plongée nauséeuse dans l'univers délirant de la tentative de renouvèlement des générations par le programme lebensborn. On comprend vite que Max n'est qu'un miroir qui nous renvoit à la figure l'horreur de la pensée, et des actes, nazis, à travers les actes et la parole d'un gamin totalement acquis à son Führer. Il est témoin de la folie des adultes qui l'entourent, un peu comme Oscar dans "Le tambour". Cohen-Scali s'amuse à appuyer autant qu'elle le peut sur le trait pour en faire un salaud qu'on ne peut pas totalement détester car son engagement corps et âme pour son père adoptif (le Führer...) est désarmant de naïveté.
Max, ou Konrad, est un pur produit du Reich. Pas de père. Pas de mère. Ou plutôt un père, Hitler. Et une mère, l'Allemagne nazie. Nous sommes face à la personnification d'une pensée politique hégémonique et totalitaire. Son discours, empreint de naïveté et d'une totale méconnaissance du monde, est pédagogique : nous découvrons, à travers le prisme de ses paroles, l'horreur nazie, qui est disséquée positivement de manière ostentatoire par Konrad, mais à travers lequel nous voyons bien que l'œuvre de Cohen-Scali est de dévoiler crument au lecteur une réalité historique qui est bien souvent camouflée par les programmes scolaires proposés à nos enfants. Pour aller au-delà des documents proposés aux enfants d'aujourd'hui, Cohen-Scali pose une réalité concrète brute, qui vous saute au visage grâce au discours de Konrad. En tant qu'adulte, nous comprenons vite le double langage ; l'acceptation de Konrad n'est que je cri d'horreur de Cohen-Scali ; à chaque page, on sent l'auteur, les yeux rivés sur nous, qui nous dit : "Tu vois de quoi l'homme est capable ?"
Je me pose cependant la question de l'opportunité de proposer un tel livre à des élèves sans envisager ne serait-ce qu'un débat de synthèse après la lecture. Il faut une bonne capacité de lecture inférentielle pour arriver à décrypter le message de Cohen-Scali. Ou plutôt, je dirais qu'il existe un risque que le jeune lecteur ne comprenne pas le message à peine caché et ne conserve que la version de Konrad, littérale, qui ne critique pas. Vous me direz qu'il faut avoir une bien piètre opinion des élèves de 14 ans pour croire qu'il pourraient tomber dans un piège aussi grossier mais je constate, pour en avoir discuté, qu'il ne reste pas grand-chose de la lecture par l'un d'entre eux. Du coup, si le livre ne lui a pas laissé de souvenirs précis, quel discours lui en est resté, au final ? Celui de Cohen-Scali, celui de Konrad ?
Vient ensuite la seconde partie, celle de "l'après Lukas". Lukas, c'est le ver dans la pomme. Le parasite qui va instiller le doute dans l'esprit de Konrad. Ça tombe bien que Lukas soit ce parasite. Il est juif. Et Konrad l'identifie bien comme celui qui va radicalement renverser sa conception du monde. La vraie naissance de Konrad, c'est sa rencontre avec Lukas. La dimension pédagogique de Lukas est évidente : il va ouvrir peu à peu les yeux de Konrad, lui faire toucher du doigt l'absurdité du nazisme, lui faire découvrir, et aussi au lecteur, l'horreur de la Shoah : les ghettos, les camps d'extermination. C'est lui qui enseigne à Konrad. C'est Lukas qui apporte la part d'humanité à Konrad.
Heureusement que Lukas intervient dans le récit de Cohen-Scali : il sauve Konrad, il le réhumanise en quelque sorte, mais il nous permet, à nous lecteur, de mettre en perspective tout ce que nous avons précédemment lu. Le lebensborn est une infâmie. Le nazisme est une infâmie. Toute la machine de la solution finale est une tâche indélébile dans la grande marche de l'humanité.
Nous assistons alors, peu à peu, à la vraie naissance de Konrad, il se libère de ce qui avait fait sa vérité. Aux côtés de Lukas, il brise mois après mois, les chaînes qui le liaient aux idées mortifères du nazisme, et en se décillant les yeux, il ouvre ceux de son lecteur vers la vérité qu'il n'a pas vécu. La leçon ? Elle est toujours la même : lisez et comprenez afin que le passé ne vous saisisse pas à la gorge. La bête immonde est toujours parmi nous.
Konrad arrive sur le seuil de sa vie, seul, totalement seul, mais enfin vrai enfant, une larme creusant son sillon sur sa joue. Et le lecteur ferme le livre avec un œil neuf sur le temps présent : le passé est une lanterne qui éclaire le chemin parcouru... puisse cette lanterne nous permettre de voir les obstacles qui ne manqueront pas d'encombrer notre futur.

joelp31
7
Écrit par

Créée

le 28 févr. 2017

Critique lue 833 fois

1 j'aime

joelp31

Écrit par

Critique lue 833 fois

1

D'autres avis sur Max

Max
Miharuchan
8

Critique de Max par Miharuchan

Max est le premier enfant du programme Lebensborn à voir le jour, c'est un peu l'emblème de ce projet fou lancé par Hitler. Le récit commence quelques heures avant l'accouchement de sa mère, les...

le 8 mars 2013

11 j'aime

Max
culturez-vous
9

Epoustouflant

Max est à la fois l'ovni et le roman choc de la production jeunesse de cette année. Assez impressionnant, il ne plaira pas à tout le monde et il ne faudra pas le mettre entre toutes les mains. Le...

le 12 août 2013

9 j'aime

Max
Loli_Wan
8

Le point de vue d'un "produit" issu du programme "Lebensborn"

Avant même sa naissance, Max a la haine. Max a la rage. Max crève d'envie de naître le jour de l'anniversaire du Führer, pour lui rendre hommage. Parce que Max se veut le meilleur et le plus pur...

le 25 mars 2014

3 j'aime

Du même critique

Girl
joelp31
9

Au plus profond de l'être

L'idée géniale du réalisateur est d'avoir supprimé tous les clichés liés à l'acceptation de la transexualité de Lara par son environnement : tout le monde le sait, tout le monde accepte, tout le...

le 10 oct. 2018

5 j'aime

Une affaire de femmes
joelp31
9

Portrait de femme libre

Voilà que je tombe sur ce film dans le programme télé de la semaine. Cela fait tant d'années que j'ai vu ce film ! C'est donc une critique tamisée par de nombres années que je vous livre. Je me...

le 17 mai 2016

3 j'aime

Presence
joelp31
2

L'usage abusif de la compression nuit à la musique

Tout l'intérêt de la musique c'est qu'elle succède au silence et qu'elle y revient. Cet artiste semble avoir des choses à dire, mais il cède à la tendance actuelle de régler les compresseurs à fond,...

le 3 janv. 2018

2 j'aime