Il y a les querelles littéraires – Anciens contre Modernes, Hernani… Les guerres picrocholines. Les combats d’avant-garde artistiques. Les parodies – gros bout-istes contre petit bout-istes, etc. Les authentiques conflits armés, naturellement. Les affrontements territoriaux pour le contrôle de quelques décimètres carrés de bac à sable. Et puis il y a Max Bill contre Jan Tschichold.
En boxe, on appellerait ça le combat du siècle. Comme c’est de la typographie, ça n’a pas vraiment de nom, mais il suffit de dire « Bill et Tschichold » pour faire sourire les connaisseurs de cette spécialité qui fit longtemps vivre les plus intellectuels des ouvriers.
Pour résumer, le vieux « typographe, créateur de caractères, professeur et publiciste » (p. 13) Jan Tschichold et le jeune « architecte, designer, peintre, plasticien, typographe, professeur et publiciste » Max Bill s’entendent sur à peu près tout mais ne sont d’accord sur presque rien. Un article écrit par le second en réaction à une conférence du premier et publié en 1946 dans un numéro des Schweizer graphische Mitteilungen met le feu aux poudres. Le premier rétorque deux numéros plus tard. Comme aucun des articles n’envisage le moindre terrain d’entente, Jan et Max camperont sur leurs positions. D’ailleurs, ça ne rate pas : « Chacun des deux adversaires reproche à l’autre des affinités avec l’esthétique nazie » (p. 40) – ce qui est évidemment doublement injuste.
Je ne m’étends pas davantage sur les conceptions défendues par chaque adversaire. Disons que je préfère celle de Tschichold, le moderne devenu classique, qui aime les Satzbilden rigoureux, justifie ses textes à gauche et à droite, privilégie les caractères à empattements (après avoir défendu le sans serif quelques années plus tôt !) et utilise des majuscules quand l’orthographe l’exige (1). Ceci dit, le livre de Bosshard respecte une typographie plus billienne, et j’admets que c’est plaisamment lisible, peut-être aussi parce qu’il ne s’agit pas d’une longue fiction littéraire. (L’article de Max Bill, über typographie, est reproduit tel qu’à l’origine, c’est-à-dire en suivant les recommandations de son auteur, et là, le bas de casse généralisé et l’absence de renfoncement en début d’alinéa me paraissaient vraiment nuire au propos.)
Tout ceci mis au point, comment l’ouvrage parle-t-il de cette querelle ? Qu’il s’agisse d’établir des liens entre domaines artistiques (« Art concret et nouvelle typographie sont de toute évidence des cousins proches », p. 34) ou de souligner non sans humour le caractère dérisoire du débat de nos deux Professoren (« Les arts ont toujours trouvé des nouvelles voies qui conduisent des formes dépassées vers la nouveauté, y compris grâce à des retours en arrière. Apparemment, c’est beaucoup plus compliqué pour la typographie », p. 46), le propos est généralement intéressant. L’analyse des circonstances et des enjeux de la polémique est fine et semble complète.
Mais pourquoi l’auteur a-t-il choisi de placer celle-là avant les articles qui ont fait naître celle-ci ? Heureusement, le lecteur pourra choisir de lire le texte de Bosshard après ceux de Bill et Tschichold – ou plutôt de le relire, car la première fois il n’était pas au courant. (Quant à la préface, elle ne présente guère d’intérêt.)
Naturellement, les éditions B42 ont soigné la typographie de leur ouvrage, et plus généralement sa présentation. Les illustrations, notamment, rendent justice aussi bien aux travaux des deux typographes qu’au choix qu’y a opéré leur critique.


(1) En passant, le recueil d’articles de Tschichold publié par les éditions Allia sous le titre Livre et Typographie donnera une idée assez claire de sa tournure d’esprit.

Alcofribas
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le 9 nov. 2019

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