Incontournable Mai 2022


Comme la plupart des pavés de plus de 400 pages tel que ce roman, une question s'impose - et vous sera posée de toute manière au début de ce roman: Quel sorte de Lectrice/Lecteur êtes-vous? Une question somme toute pertinente, qui interroge l'axe de notre "façon" de lire. L'additivité est souvent un critère posé par les lecteurs, mais attention, toutes les histoires ne sont pas forcément "addictive" parce qu'elles se lisent vite. Certains Lecteurs comprennent que parfois, c'est la magie du livre qui nous empêche de le fermer, même si le rythme en lui-même peut être plus tranquille. Je cite par exemple les romans de Victoria Schwab ou ceux de Kelly Regan, qui sont de ceux-là, parce que leur autrice privilégie le détail et la jolie plume sans mettre l'accent sur un rythme rapide. Et ce roman est dans cette catégorie, de ceux qu'il faut savourer, et non expédier. En faites-vous parti?


Dans un univers qui pourrait être le nôtre - mais qui ne l'est pas - tout le réseau ferroviaire, gares, trains et stations, appartiennent à un magnat des affaires, le jeune et froid J.P Mortimer. La compagnie Speester. Toutes? Non. Un petit train d'à peine sept wagons résiste encore et toujours à l'envahisseur. Il occupe la rame 1001, connu de rares passagers et teinté d'une aura mystérieuse. Quand la jeune Finally, avec ses dix ans tous mouillés, heurte par hasard l'assistant du contrôleur du Maydala Express, deux objets sont échangés de manière fortuite. La jeune orpheline et humble balayeuse pour la compagnie ferroviaire se retrouve en possession d'un billet pour le Maydala Express. Un billet qui n'indique pas sa destination. Tournant le dos à une vie misérable et sans perspectives d'avenir, l'aspirante-mécanicienne y voit un billet simple pour la liberté. Elle s'embarque, avec plusieurs autres personnages forts colorés, pour le voyage de sa vie. S'ajoutera en cours de route l'agile cambrioleur Lemury Nevsky, un jeune homme qui fuit une coriace enquêtrice. Dans l'ombre, le milliardaire ayant le monopole sur les trains veut plus que tout mettre la mains sur ce dernier train. Sur sa dernière station, la plus éloignée du monde connu, plus que tout. Et à tout prix.


Comme c'est bien trouvé comme nom, il me semble. le Maydala est exactement ce qu'il me semblait être au départ: une aide. Un précieux coup de pouce. Un fabriquant de rêve, mais également le trait d'union entre la personne et le champ des possibles. Mayday, donc. Vous comprendrez mieux quand vous le lirez. Je ne peut pas divulgâcher cette partie. Quoique je suis peut-être complètement à côté de la traque ( jeu de mot!) et que "Maydala" a été choisi pour son sens réel. En tagalog, ça veut dire "Porteur", ça fonctionnerait, mais comme c'est une langue des phillipines...trop de détails. Pardon.


"Maydala Express" est un roman d'aventure de style Steampunk, en atteste ses automates, ses rouages, ses trains et ses villes. Mais le panorama ne se limite pas au style victorien anglais du genre, on retrouvera aussi des influences d'europe de l'Est, du Moyent-Orient et du Grand Nord russe. C'est un train qui s'arrête à divers endroits, après tout. C'est en outre un univers qui m'aura évoqué le jeu "Sybéria", dans lequel une jeune avocate se retrouve dans l'obligation de courir après un héritier perdu d'une importante compagnie d'automates. Elle se retrouve à voyager dans un train à ressort avec l'aide d'un automate contrôleur-pilote-machiniste-homme-à-tout-faire, parcourant de la France aux tréfonds de la Sybérie, en passant par l'Europe de l'Est. Même décor incroyable. Même impression de grandeur. C'est d'ailleurs Sokal le bédéiste qui en a dessiner les décors. Bref. J'ai apprécié de voir ce jeu magnifique transposé dans un roman avec la même tranquillité et le même soucis pour les détails des lieux.


Il y a pleins d'éléments intéressants dans la construction de ce roman italien ,avec sa narration suivant plusieurs héros à la fois, appelés à se rejoindre autours du Maydala, avec la présence des gravures et des montages photos qui ponctuent les différents blocs, chaque bloc étant une destination. Aussi, il y a la présence de ce texte en forme de lettre au début, qui traite de la différence de lecture entre roman expédiés et romans dégustés ( comme un gâteau!).


La psychologie des personnages n'est pas spécialement abordée, mais on perçoit tout-de-même les traits de chacun d'eux. Ils sont plusieurs, d'âges et d'ethnies diverses. Déjà je dois dire que d'avoir deux héros centraux avec une telle différence d'âge est peu commun. Finally a dix ans et Lem quelque chose entre 18 et 20 ans. Un jeune adulte, donc. Ça me plait: ça change complètement le rapport qu'ils peuvent avoir ensemble, plus coéquipier je dirais, et nous épargne une énième romance juste parce que c,est un duo fille-gars, merci bien! Finally est la jeune orpheline typique: une faculté à rêver plus loin, une certaine naïveté mais aussi une grande débrouillardise. Elle prend en estime au fur et à mesure qu'elle se découvre des forces et qu'elle s'attache au train et ses habitants. Lem est une sorte de gentleman cambrioleur. Il a même un costume: un masque et un chapeau blanc. Il se fait appeler la Primevère ( il y a cette fleur sur son chapeau) ou le Ramoneur blanc. Il a mit la mains sur le Coeur de l'Afrique, le plus gros diamant du monde, mais pas pour les motifs qu'on prête d'ordinaire à ce genre de criminel un peu dandy. Niveau compétences sociales, franchement, il a du pain sur la planche! le nombre de bourdes qu'il fait en parlant à Finally...Bref, on a donc un duo plus apparié qu'on ne le pense, similaires plus qu'il ne semble.


On a un micro-espion, l'indéniable indice du genre Steampunk - qui est impliqué dans les évènements, mais qui au final, n'aura jamais été débusqué. Sa perspective donne l'impression qu'il est un gadget incroyable malheureusement peu estimé. Il pourrait sembler peu important, parce que ses passages dans l'histoire ne révèlent pas grand chose, mais c'est le relais entre les héros et les antagonistes. Son rôle est donc crucial malgré sa minuscule taille.


L'antagoniste et ses sbires a quelque chose de très humain, malgré son tempérament pointilleux et froid. Il est de ces "vilains" qui ne comprennent tout simplement pas. Il veut quelque chose dont il ne possède pas la qualité intrinsèque pour la découvrir. Il est aussi revanchard et compte tenu des circonstances, on peut compatir d'une certaine manière, sans cautionner ses actions contre le petit train et son personnel. Les Méchants n'ont pas à être dénué de qualités, après tout.


On a aussi une enquêtrice, Mélanie Tipps, sur les traces de la Primevère - donc de Lem, l'homme de mains de Mortimer, aussi désagréable qu'étonnamment phobique de l'eau, le Contrôleur scrupuleux et bienveillant du Maydala, ainsi que son équipe. Et je ne parle pas des passagers! C'est étonnant de voir comment, en quelque coups de plume, on cerne assez bien le style de chacun. Et surtout, hormis deux personnages qui connaissent leur destination, les autres, non. On ne peut s'empêcher de se demander où et pourquoi le Maydala les fait sortir à une station plutôt qu'une autre.


Oui, parce que le Maydala est forcément un personnage, à ce stade. Décrit dans ses moindre détails, d'une technologie aussi avancée que multifonction, il "décide" aussi à quelle station chaque personne descend. Enfin, le "machiniste" décide. Mais curieusement, on ne le voit jamais ce machiniste...Le Maydala fait rêver à lui seul. C'est l'idéal du train, avec sa beauté, sa polyvalence, ses nombreux accommodements, sa bibliothèque ( oh, Joie!) et ses nombreuses singularités, tel le système de traction pour les pentes qui le fait ressembler à un Mille-Patte! N'importe quel Lecteur pourrait se voir gentiment assis à son bord en quête d'évasion. Fait à noter, le Maydala n'est pas rapide. Un petit clin d'oeil à notre incapacité chronique à savoir profiter du temps? À vous de voir.


C'est un roman qui possède cette "magie" qui caractérise les romans construit dans le but de faire rêver. Si vous vous laissez bercer, vous ne verrai pas le temps filer. Si nous suivons les pérégrinations des deux jeunes passagers au coeur d'un complot, nous les suivons aussi déambuler dans les villes, s'évader dans leur tête et espérer un avenir. En y réfléchissant, c'est parfois, c'est au moment les plus tranquilles que peut s'imposer certaines vérités ou certaines idées. C'est également quand le champs de possibles s'ouvre, imaginaire aidant, qu'on peut trouver des solutions. Et c'est aussi en se créant des amis qu'on peut se découvrir des forces susceptibles de nous pousser en avant.


Enfin, j'aime le message ambiant du roman sur la question du temps. Arriver vite d'un point A au point B, vivre sa vie en accélérer et RENTABILISER le temps ( ARG! Horreur, je hais ce mot) La question de vivre en appréciant chaque facettes de notre vie, incluant les petites choses, on sait, ça devrait en principe être considéré. Mais c'est dur, n'est-ce pas? Notre société au grand complet est faite de manière à meubler chaque secondes de notre vie. Il impose un mode de vie rapide, structuré et surtout pleins. Viens alors l'évasion, que ce soit par le voyage ou par la Culture. Mais même là, on multiplie les sorties, on prend des moyens de transports rapides, rivés à nos écrans pour meubler cet intervalle. Pensez-y. Quand regarder par la fenêtre le paysage est-il devenu "ennuyeux"? Quand le rythme d'un roman est-il devenu un critère? Quand le voyage est-il devenu la destination, et non le voyage en lui-même? (Bon, il se sent d'humeur philosophique s'te libraire, visiblement!)


Dernière chose: si vous êtes du genre à avoir besoin de toutes les explications clairement définies, avec une clôture claire...sachez que la fin est très partiellement ouverte ou laisse place à une certaine interprétation. En claire, on ne va pas vous faire un dessin sur un ou deux éléments, vous allez devoir extrapoler.


Donc, pour conclure, Maydala Express est un roman aussi savoureux que les chocolats chauds qu'on y sert. J'espère dénicher des Lecteurs qui le dégusteront avec toute la considérations qu'il mérite et j'espère qu'à bord du Maydala, ils trouveront aussi bien un temps de répit qu'une irrésistible envie de découvrir plus encore le monde qui les entoure.


Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans. Mais bien sur, pas besoin d'avoir cet âge pour vous y plongés, chers ados et adultes.


Un détail impertinent supplémentaire, il aura fallu attendre 11 ans pour avoir enfin la version française de ce roman Italien, paru en 2011 en version originale.


Un autre détail impertinent: Sur la couverture, cela peut prêter à confusion, car Finally et Lem sont représentés au même niveau d'épaules et avec des faciès similaires. Pourtant, je le rappelle, ils ont un gros écart d'âge. Finally me semble donc bien plus vieille sur la couverture française, surtout comparée à la couverture italienne d'origine.

Shaynning

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