Raison pratique

Il y a sans doute plusieurs lectures possibles des Méditations pascaliennes de Pierre Bourdieu. Il y critique la pensée scolastique, la pensée théorique de la théorie théoricienne, si l'on veut s'amuser à révéler, en jouant avec les mots, l'agacement profond qu'une pensée détachée de la pratique inspire au célèbre sociologue.
On pourrait donc lire ce livre simplement comme une critique de la philosophie, ce qu'il n'est pas, ou pas seulement, puisque, pour Bourdieu, la pensée scolastique touche également d'autres champs. De plus, on a entre les mains un vrai livre de philosophie, truffé de références à Pascal, Kant ou encore Wittgenstein.
Mais il retourne quelque peu la philosophie contre elle-même. De Pascal, il retient l'idée d'une philosophie qui se moque de la philosophie. Mais la démarche de l'auteur s'éclaire surtout dans sa reprise de l'idée kantienne d'effectuer une "révolution copernicienne" dans la pensée : comprendre d'où l'on parle pour révéler les effets de ce point de vue sur la pensée scolastique.
Cet effort est noble, même si Bourdieu à l'air d'insister bien plus sur les manques de cette posture que sur ce qu'elle rend possible. Le résultat de ce texte à la frontière entre philosophie et sociologie pourrait se rattacher au pragmatisme d'un John Dewey, tout en étant presque plus philosophique que ce philosophe américain par ses nombreuses références qui manquent trop souvent au penseur d'outre-Atlantique.
Sociologue qui "fait le philosophe" ? Véritable ouvrage de philosophie pragmatiste ? Ou bien critique sociologique de la philosophie ? Ce texte à la croisée des chemins est en fait tout cela à la fois, ce qui en fait un livre passionnant mais plutôt difficile d'accès.