Sous le soleil, rien de romantique.
Cormac McCarthy nous plonge littéralement dans l'Enfer de l'ouest américain, dont le Diable est un homme luisant et inquiétant, et dont le représentant des damnés est un "gamin".
Nous suivons ses tribulations, depuis le moment où la violence de son foyer l'a recraché dans le désert, jusqu'à sa pathétique mort, derrière les portes closes des toilettes de Griffith, Texas. Autour de lui, ce n'est qu'une parodie d'épopée homérique, où les seigneurs ne sont rien d'autres que des brutes trainant derrière eux une armée de cadavres et de fantômes.
Le roman a quelque chose de picaresque, avec l'annonce pour chaque chapitre des "aventures" que vont vivre les personnages, mais le genre est ici détourné : ce n'est pas le destin malicieux qui les transporte de péripétie en péripétie, mais bien un profond nihilisme, une danse macabre orchestrée par le Juge.
La narration est assez originale : on oscille entre la perception du "gamin", ce personnage principal si vide (que ce soit dans sa caractérisation, ou par son absence totale d'émotions), et une vision totalement surplombante dans lequel celui-ci disparaît complètement et semble se dissoudre parmi ses compagnons d'infortune. L'auteur s'amuse d'ailleurs à nous perdre, à oublier de mentionner à qui renvoient les pronoms, à la manière d'un Claude Simon. En effet, à l'instar de la guerre qui est le théâtre de la Route des Flandres, cette étendue non civilisée de l'Ouest américain du 19ème siècle avale tous les individus, les vide de leur sens, de leur personnalité, de leur destin.
Tout est rocailleux, épineux, imbibé de sang. Les descriptions de ces étendues, que l'on a vu si souvent fantasmées, qui font la joie des touristes maintenant, sont proprement saisissantes. Les maisons de pisé ne sont que des excroissances fragiles de l'argile, de cette terre qui avale tout. Tous n'est qu'os et épines.
C'est virtuose, certes, et puissant. En revanche, c'est aussi redondant. Le schéma errance - arrivée dans un lieu habité - massacre se répète à l'infini, et devient un petit peu lassant sur le dernier quart du livre.
Cependant, cette lecture ne laisse pas indemne, et dessine à traits épais le cimetière sur lequel se bâtissent les "civilisations".