"Minuit 2" fut une relative déception face à mes attentes. Allez savoir pourquoi, ces deux tomes (qui ne sont en langue anglophone qu'une seule et même œuvre: "Four Past Midnight") m'ont toujours énormément intrigué. C'était donc tout excité que j'avais commencé les deux premières novellas, avec un immense sentiment de gâchis à la sortie. Je dois donc l'avouer, ce n'était pas avec une grande motivation que j'ai attaqué "Le Policier des Bibliothèques". Stephen King m'a rappelé, pour mon grand plaisir, que son talent ne s'éloigne jamais longtemps lorsque c'est le cas.

Ainsi, la première novella est plutôt réussie. Ce n'est pas un chef-d’œuvre, mais c'est loin des Langoliers du premier tome. On assiste donc à une sorte d'histoire de fantômes qui n'en est pas vraiment une, s'enracinant dans les peurs de l'enfance, ces peurs que l'on ne peut que cacher une fois adulte, et qui peuvent resurgir, lorsqu'on stimule tout ce système intelligemment. Tout ce que l'on peut dire, c'est que Stephen King sait y faire, et nous offre ici quelques scènes glaçantes. Une fois n'est pas coutume, le personnage principal, Sam, est très attachant et on se met bien aisément à sa place. En fait, on pourrait même dire qu'il y a un double-personnage principal, avec des évènements les liant assez intimement, puisqu'un récit dans le récit apparait bien vite et monopolise au moins un tiers de la novella, si ce n'est plus. Et c'est une très bonne idée, car le passé de Dirty Dave est clairement ce qui donne ce petit goût pimenté à cette première partie de "Minuit 4". C'est très joliment raconté, avec une montée en puissance palpable, une malaise insidieux grandissant petit à petit pour au final submerger le lecteur, et lui donner un grand coup de pied dans le cul pour qu'il revienne au présent, avec Sam, qui lui aussi est dans de beaux draps.
Je pense que ce n'est même pas la peine de préciser, pour ceux qui l'ont lu, le choc d'une violence inouïe intervenant vers la fin du récit (lors des réminiscences de Sam). King aborde ici un sujet très sérieux, qui fait souffler brutalement un vent glacial sur l'histoire. Mis à part l’œuvre de Lindqvist, "Let me in", c'est la première fois que je me confrontais à ce type de sujets vraiment difficile à aborder pour un auteur. Et on peut dire que Stephen King n'y va pas de main morte, offrant une scène difficilement soutenable de plusieurs pages qui, il faut l'avouer, choque. Effectivement, l'atmosphère, sans avoir été "légère" avant, devient ici carrément oppressante. Enfin bon, c'est réussi.
Ce qui est nettement moins réussi, en revanche, c'est l'impression d'histoire de seconde zone qui ressort ici. Cela peut paraitre contradictoire, étant donné que je viens de dire que King aborde ici des thèmes graves. Mais non, et je vais m'expliquer. C'est l'impression globale qui me fait dire cela: l'histoire est effectivement beaucoup trop simple pour en faire un roman, et pourtant, on lit ici un truc de 300 pages. Alors c'est une novella, oui, mais je ne peux m'enlever l'idée que King a moins fignolé son travail ici. L'histoire n'a pas vraiment d'ampleur, le lecteur n'est pas transcendé, les divers dénouements sont prévisibles et tombent un peu à plat, le lecteur ayant une réaction à peu de choses semblables devant un nanar de TF6. C'est nettement moins marqué que pour le premier tome, mais ça se ressent quand même. Le meilleur exemple de cet aspect "téléfilm de TF6", c'est par exemple la relation entre Sarah et Sam, évoluant absurdement au fil du récit. Là faut pas pousser, ça puait la merde cette idée. Mais bon.
Il n'empêche que "Le Policier des bibliothèques" est une novella plutôt agréable à dire, et qui imprimera au moins au lecteur une scène cruciale et inattendue, insoutenable.

La deuxième novella, "Le Molosse surgi du Soleil" est, je trouve, inférieure (hum, euphémisme, hum). Si le côté série B est ici moins présent, on assiste à un récit nettement moins attirant. J'ai vraiment eu l'impression d'être devant une histoire qui aurait grandement gagné à être traduite en nouvelle, et non en novella. Vraiment, plus de deux cent pages sont ici noircies, alors qu'on s'en serait très bien tiré avec une cinquantaine.
Les personnages sont toujours extrêmement sympathiques, attirants, avec une mention spéciale pour Pop Merrill, se dévoilant comme une jolie création de King, et je me demande quelle est son implication dans le gros roman qu'est "Bazaar" car j'aimerais beaucoup le voir intervenir de nouveau dans un récit de Castle Rock. Ce qui cloche, vraiment, se cantonne à l'histoire qui n'est tout de même pas vraiment brillante. J'ai lu ici et là que certains lecteurs avaient eu l'impression de retourner en enfance, devant un bon "Chair de Poule". Si je ne peux nier une certaine ressemblance avec ces lointaines lectures, si plaisantes car si angoissantes, je trouve néanmoins le travail de transposition des peurs assez frêle. On a tous très bien compris ce que King a tenté de faire ici: une histoire d'épouvante classique, digne de celles de nos enfances, mais transposée à l'âge adulte et ses réflexions. En d'autres termes, il y a ici de nombreux axes d'écritures de King dans beaucoup de ses romans ("Ça" étant l'apogée de son travail sur ce domaine). Mais là, sans déconner, c'est vraiment moyen, pour plusieurs raisons.
La première: ça ne fait pas vraiment peur. Ce chien, de Polaroidville, se mouvant à chaque photo un peu plus vite, doit faire anticiper le pire au lecteur, et cette connaissance de la suite des évènements doit être un moteur à l'angoisse. Mais ce n'est pas le cas ici: on comprend très vite ce qui va se passer, le soufflé retombe, et on assiste à une histoire ennuyante, pourtant servie par une belle écriture, et destinée à finir sans le moindre éclat.
La deuxième raison, et je l'ai déjà soulevée, c'est que c'est beaucoup, beaucoup trop long. J'avais envie de stopper net la lecture à chaque description de photo. On a le droit à vingt descriptions laborieuses (ou un nombre s'en approchant, je n'ai pas compté) tentant désespérément de faire monter la sauce, mais assommant le lecteur de lassitude. oui, on a bien compris qu'à un moment donné, ce putain de clébard va se mettre sur ses deux papattes arrières et bondir. Sans déconner, Stephen, qu'est-ce que tu nous a fait? Tu nous a pris pour des burnes? Que l'on soit bien d'accord, il y a toujours une grande relation de confiance entre King et ses lecteurs, ce premier s'efforçant d'être subtil, et les derniers d'être à la hauteur. Mais là...

En conclusion, "Minuit 4" est fortement dispensable. Partant d'un bon pied, on s'attend à un diptyque de nouvelles supérieur au précédent. Il n'en est rien, et on se retrouve avec le même schéma que pour "Minuit 2", simplement inversé. Une des deux nouvelles est presque bonne, tandis que l'autre se complait dans une banalité étouffante, décevante venant de Stephen King. On ne retiendra donc aucune de ces novellas, et on préfèrera donc s'orienter vers une forme plus tranchée des écrits de King, ses excellents recueils de nouvelles ou ses romans souvent brillants.
Wazlib
5
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le 10 nov. 2014

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Wazlib

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