Si vous vous apprêtez à vous lancer dans la lecture de Moby-Dick, prenez garde, car il s'agit d'un roman-baleine.
Massif, intimidant, il plonge très loin dans les bas-fonds de l'âme humaine, notamment à travers son "héros", Achab.
Peu accessible, voire farouche et sauvage pour ceux qui voudraient d'une lecture agréable et divertissante. Oubliez le roman d'aventures à la Jules Verne. Oui, il y aura des morceaux de bravoure épiques, des voyages et des paysages, mais l'essentiel est ailleurs.
Ailleurs car d'évidence, Melville a choisi la dissection encyclopédique comme moyen littéraire de construire une oeuvre poétique. Vous vous prendrez dans la figure des chapitres entiers de digressions scientifiques, indépendants du fil de l'histoire, des faits énoncés de manière parfois rébarbative. Il faut s'accrocher car de cette accumulation de savoirs ressort, dans le dernier tiers du livre, une sorte de questionnement métaphysique à laquelle il eût été difficile d'accéder sans ces parenthèses au style froid et distant.
Le roman est construit en deux phases. La première a déjà un souffle, une manière splendide de poser son univers de port de pêche, de figures interlopes, et d'enjeux humanistes à travers, notamment, le personnage du cannibale Quiqueg. La deuxième arrive lorsque s'élance l'équipage du Pequod et, après 28 chapitres, quand apparaît enfin le personnage d'Achab. L'emprise fascinante qu'il exerce sur son équipage, son rapport obsessionnel à cette nature qui le domine et qui l'estropie, son attirance la destruction et son indifférence à la mort...Achab est l'un des personnages les plus marquants de la littérature, c'est indéniable. Jusqu'où ira-t-il pour se venger de Moby Dick, celui qui lui a pris sa jambe il y a plusieurs années ?
Je dois dire avoir fini le roman assez déçu. Je m'attendais à un livre magistral de bout en bout, le genre d'histoire dont on ressort changé. Il y a des fulgurances, des passages d'une poésie ébouriffante, les soliloques d'Achab tous mémorables. Mais j'ai eu trop d'effort à faire pour rester dans cet univers, là où un chef d'oeuvre, selon moi, est censé m'emporter. Reste cette sidérante exploration de la noirceur chez l'homme. Melville s'est aventuré là où personne n'avait encore osé aller, hormis peut-être Shakespeare, auquel il fait d'ailleurs abondamment référence. Qu'on soit hermétique au style du bonhomme ou pas, on ne peut y être indifférent.