Stupide, Stupide, drôle de nom pour un cabot.
Surtout qu'il n'est pas si stupide, Stupide. Un peu déjanté oui. Carrément pervers. Sexuellement débridé en fait. En manque de repère certainement. Irrévérencieux pour le moins. Incompris de ses semblables évidemment.
A l'image de son maître disons-le.
Ils se sont bien trouvés et c'est à se demander si le destin n'a pas réuni ces deux âmes pour leur salut. Car ils avaient besoin l'un de l'autre. Stupide, libre penseur canin rejeté par ses pairs en raison de ses orientations. John Fante, ex-libre penseur humain méprisé par sa famille pour cause d'incapacité à incarner l'image du père protecteur et à faire rentrer le moindre dollar dans le foyer.
La belle équipe.
Stupide, témoin qui ne dit rien mais n'en pense pas moins, débarque au sein de cette gentille famille américaine à un moment critique.
Il est bien loin le vagabond Bandini, pionnier de la nouvelle littérature étatsunienne. Ses doux rêves de liberté et d'évasion se sont méchamment heurtés à la réalité. Le vieux Fante est père de famille et ça ne lui réussit guère.
Amertume.
Regret.
Inachevé.
Entre deux cuites, voilà ce qui ressort des pensées de l'auteur. Ses choix de vie, ceux que tout homme doit faire un jour, ne furent pas les bons. Le pré-retraité vit désormais dans le passé, ressassant inlassablement ses rêves irréalisés et irréalisables.
Qu'il est douloureux ce constat!
Malgré l'humour omniprésent, on rit très peu. Les frasques du chien sont délectables mais la terrible prise de conscience d'une existence humaine gâchée plane sur le livre et alourdi le propos.
Les malheurs du jeune Fante prêtaient à rire.
Les regrets du vieux Fante aigri sont simplement tristes.
Sa vie n'a pourtant rien de dramatique. Elle semblerait même idyllique à certains. Mais ce n'était pas celle qu'il voulait. Il n'a pas su rester comme Stupide, stupide. Le stupide Bandini était libre à sa façon.
Un grand auteur malheureux reste cependant un grand auteur. John Fante n'est pas où on l'attendait mais n'a rien perdu de sa verve et de son inimitable style, toujours aussi fluide et outrancier. Mon chien Stupide fait partie de ces livres terminés avant d'être commencés.
Les écrivains, comme tout un chacun, ne sont pas égaux devant l'épreuve du temps et de la maturité.
Kerouac a perdu la raison mais a touché de sa plume la perfection littéraire.
Bukowski a cultivé sa bedaine mais a indéniablement acquis classe et prestance.
Fante a accumulé remords et rancœurs. Dommage.