Morwenna
6.9
Morwenna

livre de Jo Walton (2011)

Morwenna est une adolescente de 15 ans demeurée infirme à la suite d'un accident de voiture qui a couté la vie de sa soeur jumelle. Elle doit maintenant se déplacer avec une canne. Elle est persuadée que tout cela est dû à la méchanceté de sa mère, selon elle une sorcière pratiquant la magie noire. Faisant une sorte de complexe d'Electre, elle rejoint son père qu'elle connait très peu. Celui-ci est gentil et bienveillant, mais ses trois soeurs ont une grande influence sur lui. Il place sa fille dans un internat privé de bonne réputation mais particulièrement strict, où elle peine à trouver sa place. Marginalisée, elle trouve refuge dans la magie dont elle est persuadée de la réalité, dans l'observation des fées qui peuplent la nature et dans la lecture d'oeuvres fantastiques et de science fiction en particulier.
Ca y'est vous pleurez ? Cette pauvre adolescente qui nous raconte sa vie difficile de personne handicapée et la difficulté à trouver sa place dans la société sous forme de journal intime: quelle idée de génie de l'auteure ! Ah, là je suis bluffé, par tant d'originalité ! Et cette petite fille qui est persuadée de discuter avec des fées, de faire de la magie, blanche bien sûr, qui a une vilaine mère, sorcière de son état, dont, à l'aide de sa soeur, elle a stoppé les ambitions diaboliques au péril de sa vie... C'est trop mignon ! snif snif, non je suis désolé, mais les univers d'enfants, ça me rappelle toujours mon jeune âge... Ah ! Et toutes ces lectures géniales qu'elle peut avoir ! Mais c'est pas possible, Morwenna c'est moi au même âge ! (au sexe près s'entend). Moi non plus personne ne me comprenait, moi aussi j'avais des lectures qui semblaient "bizarres"... Oh ! et écoutez cela: "Ils pourraient prendre l'argent utilisé pour la production d'un nombre de bombes atomiques suffisant pour tuer tous les russes de la planète et le donner aux bibliothèques"... Roooh, bichette ! mais dans quel monde es-tu en train de grandir ? snif snif. (Ma traduction, mes excuses au traducteur officiel, j'ai lu ce roman dans sa version originale. Texte original: "They could take the money from building enough nukes to kill all the Russians in the world and give it to libraries.")
Dans la mesure du possible j'évite de faire des critiques négatives. Cette critique s'annonce particulièrement destructrice, cela fait longtemps que je n'en ai pas faite, je sais que ne vais pas me faire des amis, et soyez assurés que je n'y prends aucun plaisir. Mais trop, c'est trop !
Morwenna, Among others selon son titre original est un roman qui a raflé les prix Nebula et Hugo en 2012. Il s'agit là de deux prix très prestigieux dans le domaine du fantastique, à eux deux ils couvrent deux aspects distincts: le Nebula est décerné par un panel de professionnels, le prix Hugo par les lecteurs. Morwenna semble donc faire l'unanimité... Cela arrive régulièrement, mais tout de même. Lorsque l'on regarde les critiques des blogueurs sur internet idem: Morwenna est un roman "terriblement touchant", "ce n’est pas juste une histoire passionnante, ce n’est pas simplement un hommage à la SF, c’est tout cela et plus encore", "sublime roman", "absolument passionnant", "pas bien loin [du chef d'oeuvre]"... Au mieux trouve-t-on que Morwenna "sonne un peu creux".
Alors quoi ? Devant tant d'éloges, devrais-je assumer un travers de "connard élitiste" ? Ou alors ce livre est-il mauvais, aussi objectivement que possible ? (Ce ne sont pas les razzies ici). Peut-être un peu des deux. Je vous laisserai choisir en votre âme et conscience. Reprenons notre souffle: je n'ai pas aimé ce livre, et cela pour un empilement de raisons que je suis à même de justifier. C'est parti.
Imaginons que je sois une auteure (et c'est la deuxième fois que je change de sexe dans cette chronique...), en mal de ventes et que je décide de produire un best-seller. Comment m'y prendrais-je ? Je pourrais bien sûr parier sur mon talent d'auteure, mais comme je viens de le dire, ce serait un pari... On peut gagner ou perdre: ce n'est pas terrible. Non, il me faudrait une méthode infaillible, un "plan" en somme. Regardons ensemble comment Jo Walton a procédé.
Comme pour tout produit, il faut commencer par choisir son public et être capable de cerner ses attentes. Faire quelque chose de trop généraliste est risqué: cerner les attentes de M. et Mme tout le monde est peu aisé car une caractéristiques isolable est difficile à obtenir. Il est donc raisonnable de choisir un public de niche, plus facile à cerner. Pourquoi pas les lecteurs de SFFF (Science-Fiction, Fantasy et Fantastique) ? Ca c'est un vrai marché de niche... on doit pouvoir trouver quelque chose. Ces pauvres lecteurs, sont souvent avides de lecture et passionnés, et ils ne vivent pas toujours très bien leur isolement, voire leur marginalisation. Voilà une idée ! Finalement, en forçant le trait jusqu'au grotesque, ce serait comme un adolescent: avide de vie mais qui peine à trouver sa place... Hum...
Nous avons notre public, un type de personnage auquel il pourrait s'identifier, reste à trouver comment les faire fondre. Pour ce faire:
On va trouver une histoire remplie de pathos larmoyant: mon adolescent sera une adolescente (c'est plus mignon). Elle sera infirme, avait une soeur jumelle qui est morte dans un accident de voiture, une mère méchante, voire diabolique, sera dans un internat, elle sera moche, tout le monde la détestera et... et... Non là c'est déjà pas mal, après ça pourrait se voir.
Le personnage lira de la SF, comme les lecteurs et on va lui faire citer toutes ses lectures ! Ah ça, ils vont s'identifier. Pour être sûr que tout le monde puisse s'identifier, on va sortir une liste longue comme le bras de titres pour ratisser super large, de la fantasy la plus molasse type Tolkien à la SF type space opera. Là on est sûr d'accrocher tout le monde.
Accrocher le lecteur c'est une chose, mais il faudrait quand même une couverture médiatique, non ? Un prix littéraire serait parfait. Mais avec tout ce que l'on vient dire, c'est pas gagné. Hum... Et si l'on citait des oeuvres ou des auteurs qui ont reçus des prix littéraires, pour flatter les jury ? Un parcours rapide de la liste assemblée par Lorhkan me fait dénombrer 36 oeuvres ou auteurs cités qui ont reçu un Nebula ou un Hugo. Ca peut marcher...
Mouai... Il me faudrait quand même un bon placement en librairie et dans les bibliothèques... Ca ce serait sympa pour les ventes. Comment faire ? Et si les personnages parmi les plus sympas dans le roman était ou bien documentalistes ou bien libraires ? Super idée ça... Quel est le personnage qui vient voir l'héroïne en premier lorsqu'elle va à l'hôpital ? Sa documentaliste... Qui lui permet de rejoindre le cercle littéraire de SF du village ? Son libraire. Là je crois qu'on tient quelque chose... Bien sûr, le personnage principal ne manquera jamais une occasion de dire du bien des bibliothèques et des librairies, cela va de soit, allant jusqu'à bénir le prêt inter-bibliothèques (sic).
Un dernier détail: à ce stade on fait un roman qui parle de SFFF, mais cela ne fait pas un roman de type SFFF pour autant ! Comment faire... On va rajouter un peu de fantastique mièvre: il y aura des petites fées, et la mère méchante sera en fait une vilaine sorcière. Hop ! Classé fantasy.
Mais ?! C'est qu'à aucun moment on a parlé de scénario ! Est-ce un problème ? Il faut croire que non: le roman n'en comporte pas. "un peu creux" disait RSF... COMPLÈTEMENT VIDE oui ! Quelqu'un peut-il me décrire le scénario ? Et bien c'est une adolescente, elle voit des fées dans la nature, sa maman est très méchante. Elle aime lire, elle va à l'école et elle est infirme, sa soeur jumelle est morte. Elle découvre un cercle littéraire qu'elle commence à fréquenter, elle a un petit copain et ses premiers émois sexuels... Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. Fantastique.
Au final: un roman fait sur mesure pour flatter l'égo d'un lectorat qui n'est manifestement pas habitué à ce genre d'attaque. Le public SFFF a accueilli à bras ouverts un roman totalement vide, sans aucune originalité qui n'avait pour seul but que de le brosser dans le sens du poil. Un plan bien pensé on l'a vu, qui a parfaitement bien fonctionné. Ce n'est certainement pas "simplement un hommage à la SF": c'est une insulte envers son lectorat. Concernant l'auteure, j'avoue ne pas bien savoir placer le curseur entre l'opportunisme et la malhonnêteté.
matteo
1
Écrit par

Créée

le 26 nov. 2014

Critique lue 935 fois

8 j'aime

1 commentaire

matteo

Écrit par

Critique lue 935 fois

8
1

D'autres avis sur Morwenna

Morwenna
vbmononoke
3

Critique de Morwenna par vbmononoke

Magie ; jumelles ; deuil ; handicap ; école ; journal. Très enthousiaste en commençant ma lecture après avoir lu de bonnes critiques de ce livre doublement primé (prix Hugo et Nebula), je suis...

le 4 nov. 2014

6 j'aime

Morwenna
EmmanuelLorenzi
8

Un brillant roman sur l'adolescence et un hommage appuyé à la F&SF

Voilà un livre bien étrange qu’il paraît délicat de recommander au plus grand nombre, non pas qu’il soit mauvais ou traite d’un sujet qu’il serait préférable de cacher, non, rien de tout cela, mais...

le 12 avr. 2019

4 j'aime

4

Morwenna
Chro
8

Histoire de fées.

par Julie Coutu Morwenna est un curieux petit objet littéraire (récompensé quand même par le Hugo et le Nebula), une histoire qui hésite, oscille, balance sans jamais choisir sa direction, entre...

Par

le 16 juin 2014

4 j'aime

Du même critique

H.P.L.
matteo
7

Critique de H.P.L. par matteo

H.P. Lovecraft est sans doute l'un des auteurs de fantastique les plus influents du XXe siècle. Malheureusement, sa contribution au genre a été d'une très courte durée (ayant succombé à un cancer des...

le 26 nov. 2014

2 j'aime

L'Île habitée
matteo
7

Critique de L'Île habitée par matteo

Maxime Kamerer est un terrien membre du "Groupe de Recherches Libres", une unité de recherche exploratoire qui se rend sur des planètes afin d'y effectuer différents relevés scientifiques. Lorsqu'il...

le 26 nov. 2014

2 j'aime