J’ai attendu un an avant de lire ce roman (Prix Médicis 2010). Attaqué en fin d’été, je l’ai avalé en 48 heures, surpris par une histoire pas si originale que ça et par un style qui pourrait être agaçant. Ce style, il est très difficile à décrire mais il est très intéressant, car il fait tout le charme.
Maylis Kerangal fait de la littérature pure, ce qui peut gêner ceux qui attendent avant tout des histoires. Son histoire se résume à l’historique de la construction d’un pont à notre époque, dans une ville imaginaire (nommée Coca…) de Californie qu’elle hésite un peu à situer. Le tout est décrit par le rôle tenu par quelques personnes qui contribuent à l’élaboration de ce pont. Cela va des financiers aux simples ouvriers, en passant par des architectes, un grutier, une spécialiste des bétons, etc. Il y a aussi des opposants écologistes locaux. On a droit à un peu de psychologie, une bagarre qui pourrait tourner au drame, à un maire à l’ambition dévorante, etc.
Le style donc. Il est très personnel et fait fi de la grammaire et de la syntaxe française. Amateurs de belles phrases pures, abstenez-vous, mais vous ne savez pas ce que vous ratez. En effet, l’auteur réussit la prouesse de tenir son lecteur en haleine avec des phrases sinueuses qu’il faut parfois reprendre pour bien réaliser toutes les intentions. Pourtant, le lecteur est pris dans une narration qui permet de s’imprégner d’une ambiance et de tourner les pages à une vitesse étonnante. Ce style tient du langage parlé ou pensé, avec des phrases qui rebondissent alors que tout rédacteur sensé ferait parfois trois phrases au lieu d’une, se méfierait de la ponctuation et préciserait qui parle de quoi, etc. Pour donner quelques pistes explicatives, je pense que Maylis de Kerangal a beaucoup appris d’écrivains comme Céline, Daniel Pennac ou Jean Echenoz. Parmi ses personnages : Diderot et Thoreau (comme l’auteur de « La désobéissance civile »).
Une femme pour écrire une histoire a priori plutôt masculine ? Rien à dire, car les descriptions sont souvent d’une grande richesse (le vocabulaire aussi) et très sensibles. Et puis, le côté scientifique de l’aventure est irréprochable, pas du tout négligé par rapport à l’aspect humain.
Une révélation quant au style. L’histoire elle-même m’a paru presque banale finalement, malgré quelques inspirations qui me font dire qu’on a affaire là à un véritable talent d’écrivain. Et puis, le hasard a fait que j’ai lu « Naissance d’un pont » quelques jours après avoir achevé « Le gang de la clef à molette » d’Edward Abbey. Or, Abbey commence là où Kerangal finit son histoire, avec l’inauguration d’un pont aux Etats-Unis. Le côté masculin, écologiste, humoristique et américain est en radicale opposition avec le côté féminin, constructeur, sérieux et européen. Cette critique a pour but de faire la jonction entre ces deux aspects de la vie et ces deux cultures, car les deux romans ont leur valeur.
Electron
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le 9 sept. 2012

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