Lorsque j'ai ouvert pour la première fois « Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme » de Cormac McCarthy, j'ai fait défiler les pages en me disant : « Mais où sont les dialogues ? ». Je sais que cela peut paraître anecdotique mais, pour avoir assisté à quelques conférences et avoir discuté avec de nombreux auteurs, je sais que nos éditeurs français sont éreintants. En effet, même des plus grands ils exigent qu'ils remettent des virgules, par centaines voire pire, dans leurs manuscrits. De même, aucun éditeur n'a la même politique en matière de dialogue. L'un vaudra systématiquement des guillemets pour ouvrir un dialogue là où un second voudra deux points et un troisième ne demandera rien mais obligera cependant l'auteur à recourir aux tirets cadratin. He bien, avec Cormac McCarthy ca ne se passe pas ainsi.

J'ai même du acheter la version originale de son prix Pulitzer 2007 « La route » pour comprendre. Me remettre aux langues étrangères est effectivement une des activités que je pratique depuis quelques années avec une grande joie. Et dans « The road » la typographie est identique. Alors ne soyez pas choqué, mais Cormac McCarthy est un auteur qui ne met aucun cadratin ni guillemet, rarement des virgules, s'exprime par phrases courtes et percutantes. D'aspect, ses textes peuvent parfois ressembler à des poèmes : pas de grands paquets de mots, de nombreux retours à la ligne. D'une certaine façon c'est de la poésie, une poésie de l'action. L'absence de ponctuation, pour nous francophones, est assez choquante car cette ponctuation nous guide dans la compréhension des phrases et puis, c'est une discipline qui nous est inculquée depuis notre plus petite enfance sur les bancs de l'école public, ou de l'autre : La ponctuation est dans l'ordre des choses, c'est elle qui donne à la phrase sa consistance. Ne soyez pas rebuté par ce minimalisme « ponctuatoire » propre à Cormac McCarthy car vous passeriez à côté d'un des plus grands auteurs de ce siècle. Ce préambule, un peu long je le reconnais, étant fait, passons à l'histoire.

Lorsque Moss découvre dans le désert les véhicules criblés de balles avec les macchabées qui vont, il se dit qu'il y a peut-être quelque chose à en tirer. Il découvre la drogue à l'arrière d'un des véhicules et s'imagine un échange qui a mal tourné. La drogue ne l'intéresse pas mais l'acheteur oui. Il de retrouve plus loin, refroidi aussi, mais une mallette pleine de dollars à la main. La tentation est trop forte et la traque commence.

Moss n'est pas né de la dernière pluie. Chasseur et ancien du Vietnam, il sait encore se défendre. Sauf qu'à ses trousses il a un gang de dealers mexicains fous de la gâchette mais surtout Anton Chigurh. Chigurh c'est le psychopathe type. Il tue avec tout ce qu'il trouve mais il préfère son pistolet à air comprimé, le modèle qu'on utilise dans les abattoirs pour tuer le bétail. Il tue car c'est son boulot mais aussi par plaisir, pour comprendre la mort. Un technicien du meurtre qui se retrouve à la poursuite de ce bouseux de Moss.

Heureusement, le sheriff Bell est aussi à la poursuite de Moss. Il suit la piste sanglante laissée par Chigurh et les mexicains en espérant être le premier à mettre la main sur Moss. Ses réflexions ponctuent chaque nouveau chapitre. Il est le vieil homme qui s'interroge sur le monde tel qu'il est devenu. Mélange de sagesse et de bon sens, il n'en est pas moins cynique à l'endroit de ses contemporains et regarde ce monde comme un naufrage en cours.

Un récit palpitant qui nous amène du côté de la frontière mexicaine. « No country for old men » a été adapté au cinéma récemment car le texte s'y prête admirablement. Ce que je retiendrai surtout de ce livre ce sont ces petites phrases cinglantes, dénuées de jugement, juste là pour nous faire réfléchir. C'est aussi ma découverte d'un grand auteur qui vous fait passer instantanément dans son univers. Un grand auteur, un grand livre. Je le réserve cependant aux adultes, mais à ceux qui ne rendent pas leur quatre heures pour un oui ou pour un non. Faut la santé pour suivre une telle histoire.
Bobkill
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 19 déc. 2010

Critique lue 950 fois

5 j'aime

Bobkill

Écrit par

Critique lue 950 fois

5

D'autres avis sur Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme

Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme
Coriolano
7

Une histoire bancale par un écrivain qui ne l'est pas

Un échange drogue/argent qui tourne mal, un paumé qui ramasse une malette qu'il n'aurait pas du toucher, un tueur psychopathe sont quelque uns des ingrédients de ce polar ultra violent signé Cormac...

le 5 mars 2012

5 j'aime

1

Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme
Bobkill
10

Une traque sanguinaire et géniale

Lorsque j'ai ouvert pour la première fois « Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme » de Cormac McCarthy, j'ai fait défiler les pages en me disant : « Mais où sont les dialogues ? ». Je sais que...

le 19 déc. 2010

5 j'aime

Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme
Cannetille
7

Western contemporain à rebours du rêve américain

Parti chasser près de la frontière mexicaine dans le sud-ouest du Texas, le trentenaire Llewelyn Moss tombe sur un drôle de tableau : plusieurs cadavres criblés de balles autour de véhicules...

le 23 mai 2023

4 j'aime

3

Du même critique

Antimanuel d'économie 1
Bobkill
10

L'économie autrement

Avez-vous déjà entendu parler de Bernard Maris ? Certes on ne le voit que trop peu sur les plateaux de télévision, mais cela n'en fait pas pour autant un homme que les médias indiffèrent. Il a écrit...

le 18 déc. 2010

14 j'aime

2

NonNonBâ
Bobkill
10

Touchante NonNonBâ

Je n'avais jusqu'à présent jamais écrit sur une bande-dessinée. Plus encore, je n'avais jamais lu de manga. Aussi, pour cette première, j'avais porté mon attention sur un des maîtres du manga, le...

le 22 déc. 2010

12 j'aime