Annis, une jeune esclave, vit avec sa mère dans une plantation. Le jour où cette dernière est vendue, elle perd la petite parcelle d’amour et de douceur à laquelle elle se raccrochait pour supporter sa vie d’esclave. Lorsqu’elle est vendue à son tour, quelques mois après sa mère, Annis doit puiser au plus profond d’elle-même pour ne pas sombrer.
J’ai lu « Nous serons tempête » presque d’une traite. Dès la première phrase, (« La toute première arme que j’ai tenue a été la main de ma mère. ») Jesmyn Ward crée une tension qui ne s’éteint qu’à la dernière ligne. Le roman parle d’esclavage, et particulièrement de la condition des femmes esclaves. Par rapport à d’autres romans qui abordent le même thème, je trouve que la violence subie par les esclaves est peu décrite de manière frontale. Elle est bien présente pourtant, et d’autant plus forte qu’elle apparaît au détour d’une phrase, dans un détail glissé ici ou là : « Nan a toujours réprimé son amour pour ses quatre enfants. (…) Elle refuse d’aimer ce qu’elle ne pourra garder. » Ou encore : « L’homme de Géorgie va nous conduire à la Nouvelle Orléans de la manière la moins chère et la plus traditionnelle, épouvantable et cruelle : il enchaîne les hommes, attache les femmes avec une corde et laisse les enfants marcher derrière aussi longtemps qu’ils arrivent à suivre, et tant pis s’ils meurent sur le bord de la route dans ce pays à la terre rouge. »
Une autre des grandes forces du livre, c’est de donner une dimension universelle à ce que vivent Annis et tous les esclaves, à travers le personnage d’Aza. Aza est faite des voix des ancêtres d’Annis, elle est un chœur de voix multiples, venues du fond des âges. C’est un esprit qui occupe une grande place dans le récit, et le fait parfois basculer dans le réalisme magique. Car « l’univers est une énigme, un assemblage oblique de lieux, de voix, d’événements. » Le style imagé de Jesmyn Ward (« le cuir noir du ciel ») et le recours à des récits transmis de mère en fille renforce cette universalité.
« Nous serons tempête » est le chant de femmes opprimées, dont l’autrice se fait la porte-parole. C’est un roman d’une grande force, assurément l’une des pépites de cette rentrée littéraire.
Je remercie Netgalley et les éditions Belfond pour leur confiance.
#JesmynWard #NetGalleyFrance