Nuits Appalaches
7.7
Nuits Appalaches

livre de Chris Offutt (2018)

Avec Chris Offutt, tout est possible, à tout moment. L'imprévisible, le hasard, l'inattendu régissent le monde, pour le meilleur parfois, et souvent pour le pire.
Vous pensiez que ces deux personnages avaient tout pour être heureux ? Ils vivent un cauchemar. Vous espérez passer un peu de temps avec ce type haut en couleur et si minutieusement décrit ? Dommage pour vous, vous ne le reverrez jamais. Vous aimez la belle amitié qui se dégage de ces deux gars fort sympathiques ? Vlan, l'un descend l'autre. Un soleil radieux illumine toute la vallée ? Au tournant de la route, un arbre s'abat violemment sur le capot de la voiture.
Chris Offutt n'écrit pas de feel-good.
Pas de bons sentiments ici.
Pas de vision manichéenne du monde.
Pas de gentils. Pas de méchants.
Mais des gens qui font ce qu'ils peuvent pour vivre pas trop mal. Des gens qui, face au pire, s'arrangent. Tant pis pour la morale. Tant pis pour ceux qui l'ont ouverte un peu trop ou qui ont voulu imposer leur loi bidon.
Non, rien n'est joué d'avance, rien n'est tracé et la vie n'a vraiment rien d'un long fleuve tranquille.
On se tient aux aguets quand on lit un texte de Chris Offutt et la tension est permanente. Parce que le pire rôde toujours dans cet univers violent, âpre et sauvage : la mort peut frapper à tout moment, n'importe qui, même les gens les plus sympathiques, même les coeurs purs, même les enfants.
Chris Offutt met en scène des gens qu'on ne voit pas habituellement : des petites gens, ceux qui n'ont pas eu de chance, dès le départ. Des écorchés, des blessés, des meurtris.
Ils sont là, bien présents, dans toute leur humanité, leur faiblesse, leur peur, leur générosité, leur honte, leurs mensonges, leur vie cabossée, leur corps cassé.
Pas d'apitoiement, pas de pitié.
Ils sont comme ils sont et ils assument leur malchance. Ils se débrouilleront avec ça, comme ils l'ont toujours fait.
L'auteur sait par un détail les faire exister. Pas de longues descriptions inutiles, pas d'effets de manche : non, juste l'essentiel, une suggestion, un mot ou deux : un tremblement dans la voix, un silence, un regard et tout est dit.
Tout en pudeur, en retenue.
Et ils existent. Ils sont.
Il suffit de quelques lignes à Chris Offutt pour faire surgir un personnage que l'on n'a dorénavant plus envie de quitter. Parce qu'il nous intrigue, parce qu'on nous laisse supposer un passé bien lourd. Mais l'on ne saura pas forcément lequel. Pas tout de suite en tout cas. Le lecteur est plongé in medias res, dans l'action, la rencontre, le mouvement. La pause permettra de comprendre.
Et quand l'amour surgit, dans cet univers bien sombre, tout s'apaise.
Tout devient tendresse.

Enfin.
La poésie se déploie sur le monde et un court moment, au moins, on souffle.
Encore une chose : vous saurez toujours avec Chris Offutt quelle plante émet cette fragrance un peu envoûtante, à quelle essence d'arbre appartient l'ombre que vous devinez à peine dans le lointain d'une nuit étoilée, quels sont les oiseaux qui chantent en fin d'après-midi lorsque l'orage menace et que l'air se charge d'eau. La nature, omniprésente, essentielle, sert de refuge. Elle protège, cache, soigne. Parce que le monde est dur, brutal, violent, cruel même et qu'il faut se battre.
Chaque jour, encore et encore.
Une lutte que l'on sait infinie.
Je vais vous laisser faire connaissance avec Tucker, découvrir d'où il vient et ce qu'il a fait avant de marcher, par cette matinée lumineuse de printemps, le long d'une route de l'Ohio.
Il rentre chez lui, sur ses terres.
Au loin, on aperçoit déjà les plaines vertes et ondoyantes du Kentucky.
Ce qu'il fera après, il vous faudrait beaucoup d'imagination pour le deviner parce que Chris Offutt est un vrai conteur et qu'il ne vous laissera jamais rien prévoir à l'avance. (Ne lisez pas la quatrième de couv', ce serait tellement dommage!)
En deux mots ou presque : je me suis régalée de ce chef-d'oeuvre.
Sur une route écrasée de soleil, s'arrête une vieille voiture. L'homme qui sort sa tête s'appelle Freeman… Tout un programme.
Tucker monte dans le pick-up, un Chevrolet 1949.
Allez-y, montez avec lui...
L'aventure, la vraie, peut commencer…


LIRE AU LIT, le blog

lireaulit
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 19 mai 2019

Critique lue 359 fois

3 j'aime

lireaulit

Écrit par

Critique lue 359 fois

3

D'autres avis sur Nuits Appalaches

Nuits Appalaches
LouKnox
9

Critique de Nuits Appalaches par Lou Knox

Nugget sacré pour tous minou ! Tu sais le monsieur qui est comme un génial conteur du Kentucky et qu'avait écrit Kentucky Straight et que son nom c'est Chris Offutt il récidive encore un coup mais...

le 1 juin 2020

2 j'aime

Nuits Appalaches
RunningJack
8

Tucker in the dark

Roman d'une concision impressionnante, Nuits Appalaches concentre en un peu plus de 200 pages une galerie de personnages dont la route croise celle de Tucker, père mutique et redoutable. Très vite...

le 10 janv. 2022

1 j'aime

Nuits Appalaches
madametong
7

Critique de Nuits Appalaches par madametong

Moins puissant qu espéré, j ai été touchée par 'histoire de ce couple, mais il manque quelque chose , dommage

le 30 sept. 2020

1 j'aime

Du même critique

Né d'aucune femme
lireaulit
4

Critique de Né d'aucune femme par lireaulit

Il était une fois une famille de pauvres paysans : le père, la mère et les quatre filles. Un jour, le père décida de vendre son aînée à un homme riche qui en fit son esclave. Le père regretta...

le 28 avr. 2019

29 j'aime

7

Couleurs de l'incendie
lireaulit
10

Critique de Couleurs de l'incendie par lireaulit

Comment exprimer le plaisir que j'ai eu à lire ce roman ? Je n'avais qu'une hâte : que la journée passe pour pouvoir retrouver le plus vite possible tous les personnages incroyables, si...

le 22 janv. 2018

20 j'aime

2

Les Garçons de l'été
lireaulit
10

Beaux comme des dieux...

Parfois, l'on me demande : « Pourquoi écrivez-vous sur SensCritique ? » Eh bien, la réponse est simple : pour parler de livres comme celui-ci, pour les faire connaître, pour...

le 22 mai 2017

20 j'aime

5