Je fais partie de ces personnes qui ont lu l’Iliade avant l’Odyssée bien que j’ai été comme tous le monde nourrie depuis mon plus jeune âge par l’imaginaire et l’imagerie de l’Odyssée. Ulysse était donc un aventurier qui m’était familier, tout comme la renommée de ses voyages. Il faut dire que mes attentes ont quand même été assez troublées à la lecture de l’Odyssée.
Dans un premier temps, il faut avoir en tête que l’Odysée est une suite de l’Iliade et cela est tissé magistralement. On découvre Ulysse dans l’Iliade comme un personnage secondaire qui laisse cependant ci et là des marques de sa personnalité que l’on retrouve très fidèlement dans l’Odyssée: fière, rusé, sur de lui et courageux, il a aussi un sens des valeurs et de l’autorité. C’est donc extrêmement intéressant de voir un « petit » personnage devenir le héros de l’histoire sans trahir ce qui a été mis en place jusque là. Pour couronner le lien très intelligent qui relie les deux livres, l’Odyssée sait faire des références pertinentes à l’Iliade sans que cela devienne lourd. Il ne faut pas aussi oublier qu’entre la fin de Iliade et le début de l’Odysée environ 10 ans se sont écoulés! L’auteur en est pleinement conscient : il faut qu’il apprenne à son lecteur ce que sont devenus les personnages qu’il a quitté dans le « tome » précédent. C’est cet amour des personnages qui me touche tout particulièrement. La Télémaquie est en ce sens un chef-d’œuvre de continuité et de transition qui fait également avancer le récit. Avec le point de vue de Télémaque, on (re)découvre des personnages qu’on a connu, ils nous racontent leur propre Odyssée et à travers leur récit c’est un fils qui cherche le père qu’il n’a pas connu dans les mots de ceux qui furent ses compagnons à la guerre. C’est Telemaque qui part à la recherche de l’Iliade, qu’il ne peut qu’effleurer. Bref c’est majestueux. Pour moi d’ailleurs, Télémaque est le véritable hero de l’Odyssée: c’est un personnage passionnant qui subit une véritable évolution tout au long du récit (ce qui n’est pas le cas d’Ulysse) et qui est emprunt d’une quête identitaire.
Concernant les voyages d’Ulysse que j’avais très hâte de découvrir, il faut dire que j’ai été très surprise! En vérité l’Odysée n’est pas un livre de voyage: seulement un tiers du récit se consacre à Ulysse loin de chez lui. Et ce n’est pas plus mal. La dernière partie (celle qui commence à l’arrivée d’Ulysse a Ithaque) est la plus longue du récit et peut-être la meilleure. Avec une unité de lieu, l’histoire se tissent entre les personnages dans le palais d’Ulysse, avec tensions, stratégies, actions et trahisons. Une vraie pièce de théâtre! C’est tout bonnement passionnant. Encore plus que les voyages d’Ulysses auprès des Cyclopes ou des nymphes. Cela permet aussi de développer la relation entre Ulysse et Télémaque mais aussi la personnalité de Pénélope, femme fière, imperturbable et rusée (une version féminine d’Ulysse en somme) qui cache sa vulnérabilité et sa sensibilité derrière un visage (voilé) de femme forte. D’ailleurs les personnages féminins de l’Odyssée sont assez mémorables. Entre pulsions de plaisir et pulsions de destruction, elles échappent à toute caractérisation simpliste. A noter, une très belles romance platonique et implicite tout en non dits entre Ulysse et la jeune Nausicaa. Les femmes sont dans l’Odysée pleinement actives dans le récit et elles ont une psychologie propre ce qui n’était pas le cas dans l’Iliade qui exhibait au contraire une virilité exacerbée.
Ulysse quant à lui est un personnage assez cool à suivre, il est parfois très agaçant mais toujours fidèle à lui même et malgré ses défauts on ne peut que s’attacher à ce petit malin qui est aussi un redoutable guerrier au grand cœur. J’aime tout particulièrement les touches d’humour qu’il apporte au récit avec ses répliques toujours tintées d’une once de sarcasme.
Il faut dire que je regrette un peu l’absence des olympiens dans l’Odyssée. Là où dans l’Iliade ils jouaient un rôle primordial, qu’on assistait aux discussions, tensions, rivalités et intérêt des immortels et leur impact sur les affaires des mortels, les dieux sont plutôt peu présent dans l’Odyssée, à part au tout début, nous n’assistons à aucune discussion de l’Olympe. Athéna est clairement la seule à avoir un rôle et une personnalité remarquable dans le récit (même Poseidon est assez en retrait je trouve. Je m’attendais à une confrontation entre les deux à l’image de celle entre Athéna et Apollon dans l’Iliade) Après cela n’est pas un défaut, loin de là.
Un gros point pour le passage d’Ulysse dans le monde des morts qui en plus de créer encore une fois une vraie continuité pour les lecteurs de l’Iliade qui retrouveront des personnages qu’ils connaissent (très) bien, est un épisode remplis d’émotion et de poésie.
En somme, jetez vous sur l’Odyssée mais APRÈS avoir lu l’Iliade parce que la lecture sera jubilatoire! (A l’image de la saison 2 d’une série) Même si je préfère l’Iliade à l’Odyssée, les deux sont des chef-d’œuvres absolus et font parties de mes livres préférés. Choisissez donc bien vos traductions et jetez vous dans ces récits exceptionnels.