Orages d'acier
7.7
Orages d'acier

livre de Ernst Jünger (1920)


Cet exemple montre que dans la vie, le sens de l’ensemble décide des impressions particulières



Dit-il en ayant un haut-le-cœur en voyant un conducteur d’auto s’écraser le pouce en tournant la manivelle du moteur. Et c’est vrai. Ernst Jünger, jeune homme de 20 ans en 1915 venait de nous décrire pendant 120 pages la manière dont ses compagnons d’armes mouraient autour de lui, sans en épargner les détails qui font de la guerre moderne plus une scène de boucherie qu’un combat chevaleresque idéalisé.


Ce récit nous plonge dans le carnet de campagne d’un jeune lieutenant originaire du Bade-Wurtemberg, engagé volontaire qui voulut avoir le frisson de la guerre. Il ne fut pas déçu, dès son premier jour, le village où il était fut pilonné. Quelle autre manière pour mieux accueillir les bleus ?


Le récit de sa guerre permet bien de se rendre compte de la validité de la citation d’accroche que j’ai sélectionné. La mort est sans doute le personnage principal, c’est un compagnon qui est avec vous à chaque instant, à chaque page. Quand les camarades crient « au gaz », quand les ennemis envoient des mines, des obus, du shrapnel, de plus ou moins gros calibres qui font jaillir du sol des gerbes de terre, quand il faut monter à l’assaut. Il décrit froidement ses camarades tombant un à un, des gens qu’il ne connaît pas, des pères de famille, des jeunes gens encore étudiants il y a peu, des fermiers, des bûcherons, des mineurs, mais aussi quelques amis rencontrés sur-le-champ de bataille.


La majorité de sa vie de combattant se déroule la nuit puisque l’on ne doit pas être vu quand on tente un sabotage de l’autre côté ou que l’on va espionner l’ennemi. De longues nuits, dans l’argile et la craie de Champagne, vivant comme des taupes, attendant un mouvement de l’autre côté ou un pilonnage.


Et puis, la Somme, cette bataille qui fut la première d’envergure pour les troupes britanniques qui se battirent conjointement avec les Français revenant de Verdun. C’est la première fois du récit où Ernst se sent dans un paysage qu’il ne connaît pas. Auparavant, il allait se reposer dans des villages où les habitants logeaient encore, là, il ne découvre que des décombres et des cadavres de civiles. La Somme fut en effet une bataille qui laboura tout le nord de la France de par les milliers de pièces d’artillerie qui furent alignés.


Toujours dans la droite lignée de la phrase d’accroche, Jünger nous raconte durant la bataille de la Somme, un bombardement matinal pratiqué par les Anglais avec des obus de gros calibres. Le bombardement dura toute la matinée ce qui l’agaça au plus haut point et il décida d’aller dans la galerie d’un camarade pour boire et passer le temps. C’est une scène incroyable dans le sens où elle respire la normalité alors qu'elle se déroule pendant l’adversaire tente de détruire leur position.


Et malgré cette violence, il y avait des règles à respecter. Jünger s’entretint avec un officier français, de tranchée à tranchée, pour lui faire remarquer en français, que ses hommes avaient abattu un Allemand en traître. Et, vers la fin de la guerre, il rapporte un ballet de volontaire de la Croix-Rouge qui passait entre les feux de l'infanterie sans recevoir un seul tir. On remarquera que la plupart du temps quand il parle avec des officiers ennemis, il parle soit en anglais soit en français et ceux-ci lui répondent.


Bien que la guerre de 14-18 fut une de celle qui réunit le plus de velléités et d’envie de destruction de l’ennemi de la part du commandement, permise par l’artillerie toujours plus lourde qui faisait jaillir du sol des geysers jaune et noir. Jünger nous raconte que vers 1918, lors d’une des dernières grandes offensives allemandes, il blessa un Highlander qui des années plus tard lui envoya une lettre pour lui décrire la blessure que l’allemand lui avait fait. Il n’y avait pas d’animosité particulière entre ces étrangers réunis face à face sous le coup du sort, c’était une question de tuer pour rester en vie, mais la politique, l’envie de destruction émanait des instances dirigeantes et non de ceux qui étaient dans la boue.


On pourra être marqué par le détachement qu’à Jünger quand il s’agit de morts, de blessés qu’il doit abandonner pour continuer l’assaut, ce ne sont que des éléments fugaces d’une plus grande toile de fond. Mais c’est un officier, il a donc des hommes sous sa responsabilité d’où le fait qu’ils doivent continuer à mener l’assaut même s’il faut des laisser pour compte.


Quand il s’agit de parler de bataille, il déploie une panoplie d’adjectif, de verbe de mouvement et détail toute la manœuvre, c’est la passion qui l’anime. C’est donc un livre très intéressant puisque nous avons au début du récit un jeune homme, désirant en découdre et tête brûlée. Et puis au fil du récit, c’est un guerrier qui en sort, un héro Wagnérien voulant jusqu’à la fin du conflit montrer qu’il y a encore de la « force virile » chez le peuple allemand. Il fait porter d’ailleurs la charge de la défaite allemande à plusieurs facteurs, le manque de provision pour les soldats et surtout le manque de moyen et de matériel mettant ainsi à mal la théorie du « couteau dans le dos ».

Franc_cot
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le 13 août 2021

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Franc_cot

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