La Havane (Cuba), hiver 1989, un homme disparaît après la nuit du réveillon de la Saint-Sylvestre. Il s’agit de Rafael Morín Rodríguez, « directeur de l’entreprise d’import-export en gros du ministère de l’Industrie » (disparition signalée par sa femme, le 1er janvier à 21h35). Un gros poisson dont le lieutenant Mario Conde, chargé de l’enquête, se souvient parfaitement. En effet, ils étaient ensemble au lycée et Morín a fini par épouser la très belle Tamara, celle dont Mario Conde était désespérément amoureux sans jamais avoir osé déclarer sa flamme. Voilà qui donne une tonalité tendrement ironique au titre.


Une enquête qui commence bizarrement, puisque tout le monde a du mal à récupérer de la nuit du réveillon (Mario Conde, réveillé par le téléphone, a un mal de chien à émerger et ne serait-ce que bouger). Les pistes sont bien vagues et le fait que le disparu soit un ancien ami fait ressurgir tout un tas de souvenirs dans l’esprit du lieutenant. De nombreux paragraphes arrivent donc comme des bouffées, sans prévenir, avec des associations d’idées. De là à dire que Mario s’attaque à une association de malfaiteurs, restons prudent.


L’enquête démarre sur des bases hasardeuses. Ce n’est pas parce que Rafael Morín a disparu qu’il est mort. Il a peut-être pris la tangente pour des raisons personnelles. Deux possibilités dans ce cas, soit il s’agit d’une affaire de femme, soit Rafael Morín a trempé dans une histoire plus ou moins louche en rapport avec son travail. Mario (le Conde comme on lit) oriente donc son enquête, secondé par Manolo (sergent Manuel Palacios) qui lui sert de chauffeur, d’ami, de confident et de partenaire pour mener ses interrogatoires. Manolo ne pense qu’à retourner voir Vilma, sa petite amie du moment, alors que Mario songe au passé ainsi qu’aux romans qu’il a toujours rêvé d’écrire mais qui restent dans sa tête. Son goût pour la nostalgie s’exprime avec la musique, une de ses chansons préférées étant Strawberry Fields Forever des Beatles. Passé à la littérature, (ancien journaliste et même rédacteur en chef), Leonardo Padura en profite très certainement pour exprimer ses goûts.


Relativement court (262 pages en collection de poche), ce roman propose donc une enquête un peu nonchalante faite essentiellement d’interrogatoires, dans les milieux que Morín fréquentait : le travail et la famille. Ainsi Mario vient interroger Tamara qu’il n’avait pas revue depuis bien longtemps. S’il l’avait un peu oubliée par la force des choses, il réalise que son attirance pour elle est loin d’être morte. Le face à face se révèle savoureux et apporte une réelle sensualité. D’ailleurs, les femmes sont bien présentes dans ce roman, avec souvent des caractères bien trempés.


Construit comme une suite de parties plus ou moins longues qui s’enchainent sur un simple saut de ligne et donc sans véritables chapitres, Passé parfait (traduction littérale de Pasado perfecto - 1991) mêle les moments de l’enquête avec des souvenirs remontant de la jeunesse de Mario, en entrainant le lecteur dans une atmosphère de nostalgie qui donne une image de La Havane et du Cuba des deux époques. Même si l’aspect politique n’est qu’effleuré (on imagine une certaine organisation avec la fonction de Rafael Morín), on sent par exemple qu’en cas de fuite, Rafael a dû s’organiser en toute discrétion.


Ce roman, le premier d’une série intitulée « Les quatre saisons » se préoccupe avant tout d’installer une ambiance et des personnages, faisant avancer l’intrigue policière presque à regret. La particularité selon mon ressenti, c’est de surprendre avec des moments qu’on ne situe pas immédiatement : présent ou passé ? On y trouve de nombreux détails savoureux qui rendent la ville et les personnages bien vivants. La sensualité y prend une place prépondérante, la dégustation de rhum, de cigares et de bonne cuisine y prennent naturellement leur place.


Bref, un bon début de série qui donne envie d’enchainer avec Vents de carême qui fait la deuxième saison (les autres, dans l’ordre sont Electre à La Havane, puis L’automne à Cuba). Quelques expressions montrent une influence française dans la culture cubaine et on s’amuse du nom de l’enquêteur, puisque dans l’argot des malfrats, le condé est un policier (voir Un condé, le film d’Yves Boisset - 1970).

Electron
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le 12 déc. 2019

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