Paulina, son amant et Dieu : leur faire traverser la rivière sans que l'un ne bouffe l'autre

Petite note de lecture bâclée et peu inspirée, sujette à reprise peut-être un jour.


Découverte de Pierre Jean Jouve avec ce petit roman, le premier de sa vita nuova à partir de laquelle l’auteur, sous l’influence de la psychanalyse ou encore des poètes mystiques, va renier ses œuvres précédentes.


Paulina 1880 travaille un thème connu de la littérature à travers le personnage de la jeune femme à la fois sensuelle et aspirant à la pureté, partagée entre l’amour de Dieu et l’amour charnel et adultère. A ce déchirement se superpose, entre Eros et Thanatos, une lutte qui se confond avec un embrassement ; ainsi le sacrifice de l’agneau bien-aimé, qui se rejouera des années plus tard dans l’assassinat de l’amant à la suite d’un ordre divin halluciné.


Ces inclinations et désirs contraires forment un jeu compliqué d’imbrications et de dilemmes d’où ressort d’une âme humaine un portrait qui pourra paraître tout à la fois lucide, réaliste et simpliste. Dans un désir d’authenticité et d’unité, Paulina ne peut que vouloir croire que son amour coupable est la volonté de Dieu, puis refuse le mariage désormais possible à cause de son péché originel, la mort de son père, trompé sans le savoir, ne lui permettant plus de se racheter à ses yeux. Ayant perdu l’objet de son amour, elle se met à rechercher plus furieusement l’accès à Dieu, au moyen de mortifications pourtant défendues, qui témoignent d’une nature sensuellement mortifère et attachée, de façon ambiguë, à la faute pour mieux avoir à s’en purifier. L’expérience mystique qu’elle connaîtra au couvent n’aura pas raison de sa nature double, et ce ne sera que par le sacrifice, de l’autre et de soi-même, que le personnage trouvera la voie de l’apaisement. Paulina meurt et renaît en 1880.


L’une des originalités de l'œuvre tient à sa forme, fragmentaire, qui mêle chronique et tendance au poème ; après un incipit fait de la description de la chambre hantée par le souvenir d’une Paulina meurtrière, c’est par une succession rapide de tableaux brefs (quelques lignes à quelques pages) que nous est livré l’essentiel des événements, débarrassés du secondaire pour ne garder surtout que la peinture d'une passion et d'un tourment. L'œuvre est également marquée par les irruptions brutales, au sein du discours omniscient du narrateur, de la voix de l’héroïne, dont nous avons ainsi les exclamations, les réflexions et les prières. Vis à vis du discours féminin, j’ai pu rester sur mes réserves à certains moments (par exemple lorsque la jeune Paulina, admirant sa beauté dans le miroir, commente sa poitrine, reconnaît avec exaltation son pouvoir sur les hommes, etc.), hésitant entre maladresse et lourdeur de l’expression, et accès franc et audacieux au vif du sujet. La matière est là, au lecteur de trancher ou non.


Je sors de cet objet littéraire fiévreux avec une impression mitigée d’étonnement, de sympathie et d’insuffisance, comme si une gêne m’avait empêchée de bien apprécier la chose, qui avait tout mon intérêt. Trop maladroitement verbeux, formulations trop décevantes par endroits ? je ne sais pas. Il y a beaucoup à dire, à méditer, sur le sujet proposé, riche de matière, et il me semble que la composition choisie de l'œuvre est à double tranchant, et pèche peut-être par ses sauts excessifs qui m’auront parfois laissée sur le côté. J'ai cependant aimé cette lecture et la découverte de l'auteur.

Jouve est également poète ; la lecture de Paulina 1880 ne m’a pas donné spécialement envie de me précipiter sur sa poésie, mais j’ai la curiosité de lire au moins un autre de ses romans, histoire de retrouver cet effort de traiter des obscurités de l'âme humaine et retenter cette manière de liberté dans le dire.

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le 22 juin 2022

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