Les vertus de ces dames

C'est la première fois que je lis George Sand. Et je suis assez épatée par ce court roman, qui se lit très vite tout en touchant du doigt des questionnements profonds sur la vertu.

L'intrigue en deux mots : Pauline et Laurence sont deux amies de jeunesse. Laurence a fait carrière dans le théâtre, elle est devenue riche et célèbre à Paris, alors que les comédiens sont mal vus dans la société, comme des personnes sans vertu, dévergondées et toujours excommuniées. De l'autre côté, Pauline vit seule dans un village de province avec sa mère malade, dont elle s'occupe. Laurence se retrouve par hasard dans le village et renoue alors avec son amie Pauline.

Attention spoilers
La force de ce court roman réside dans les parallèlismes, et l'inversion des rôles. Au départ, c'est Pauline qui apparait comme une personne vertueuse, dévote, qui sacrifie la vie qu'elle pourrait avoir pour faire son devoir, s'occuper de sa mère. Tandis que Laurence peut être vue comme pleine d'ambition, de vanités, entourée des mondanités futiles du monde.
Pourtant, lorsque Pauline rejoint Laurence à Paris après le décès de sa mère, et qu'elle tombe amoureuse de Montgenays, un affreux personnage, elle révèle sa vraie nature. Jalouse de Laurence, de son succès, elle est méfiante tandis que Laurence ne veut que son bien et surtout la protéger de Montgenays. D'une certaine manière, le monde du showbiz comme on dirait aujourd'hui, lui tourne la tête et sa nature se révèle toute autre que dans son village de province. L'environnement influerait donc fortement la vertu de la jeune fille. Ou plutôt : il représente un vernis sur sa vraie nature ou au contraire la révèle au grand jour.
Dans le même temps, on découvre que Laurence est bienveillante, n'a cure de Montgenays et ne veut que le bonheur de son amie qui a eu une vie difficile jusque là. Elle tente de mille façons de sauver Pauline de Montgenays et d'elle-même, en vain.
On a donc deux trajectoires qui s'inversent et se croisent. Les parallèlismes ne s'arrêtent pas là : Montgenays et Lavallée, les deux personnages masculins, sont aussi des opposés, l'un foncièrement mauvais, l'autre foncièrement bon. Les mères des deux héroines sont aussi très différentes : celle de Pauline la retient par une sorte de morale, tout en fustigeant le comportement de Laurence la comédienne. Celle de Laurence l'a toujours soutenue dans ses projets et est très proche d'elle, "complice" nous dit-on.

Dans Pauline, George Sand met à bas les préjugés sur les artistes et montrent qu'ils ont parfois plus de vertus que les petites gens, forcés à la vertu par un carcan social. Une critique de la province et de l'esprit étriqué des gens est aussi présente. Sand raconte bien comment l'arrivée de Laurence dans le village devient l'événement de l'année, alors même que les personnages la reniaient juste avant.

En somme, Pauline est un roman psychologique bien construit, et qui suit des femmes de manière réaliste. En adoptant deux points de vue féminins différents, Sand nous donne à voir la société de son époque, tout en soulignant l'émancipation nécessaire des femmes - mais aussi les dangers d'une émancipation trop soudaine.