Cette lecture m’a fait comprendre une chose dans mon introspection : le stoïcisme est la philosophie de vie que je souhaite désormais appliquer à moi-même et à ma conduite, même si le chemin est encore long. Lire Marc Aurèle m’a donné l’impression que tout était déjà présent dans ses pensées, qui, il faut le rappeler, ont près de 2000 ans d’existence, et n’ont pourtant pas pris une ride. Par tout, j’entends les fondements de la philosophie moderne et les réflexions métaphysiques qui ont continué à hanter nos plus éminents intellectuels occidentaux des siècles plus tard.


Malgré cet âge avancé, le contenu de ce recueil d’aphorismes et de réflexions est ô combien qualitatif et, ce que je vais dire n’engage que moi, vaut bien plus que la plupart des livres de développement personnel à la mode qui se vendent par millions, souvent guidés par une logique marchande et surfant sur l’ambiance morose actuelle et le mal-être global et collectif de notre société.


Marc Aurèle, Empereur romain et philosophe stoïcien, petit-fils par adoption d’Hadrien rendu célèbre au grand public par Marguerite Yourcenar, est un formidable guide de vie pour ceux qui comme moi, sont, notamment, effrayés par la mort, d’une part, et d’autre part, cherchent à mieux se comporter avec autrui et être mieux parés à affronter les difficultés de la vie. L’auteur nous aide sur ces questions de la meilleure des manières, par le biais de réflexions courtes et brèves, et ce, grâce à l’usage de métaphores très concrètes. Ceci en nous invitant à rester impassible face à ce qui ne dépend pas de nous (les choses naturelles en gros, comme la mort ou la maladie mais aussi tout ce qui est extérieur à notre personne), puisque c’est ainsi que la Nature est faite et que personne n’a d’emprise dessus.



Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l'être mais aussi la sagesse de distinguer l'un de l'autre.



A ce titre, il insiste beaucoup sur la notion de petitesse de l’Homme, qui n’est finalement rien, à la fois dans l’espace et dans le temps :



"Dusses-tu vivre trois fois mille ans, et même autant de fois dix mille, souviens-toi toujours que personne ne perd d'autre existence que celle qu'il vit et qu'on ne vit pas celle qu'on perd. Le présent est égal pour tous et ce qu'on perd est donc égal aussi et ce qu'on perd apparaît de la sorte infinitésimal. On ne saurait perdre, en effet, ni le passé ni l'avenir, car ce que nous n'avons pas, comment pourrait-on nous le ravir ? Souviens-toi donc toujours de ces deux choses : d'abord, que tout, de toute Eternité, est d'aspect identique et repasse par les mêmes cycles, et qu'il n'importe qu'on assiste au même spectacle pendant cent ou deux cents ans ou toute l'Eternité ; ensuite, que l'homme le plus chargé d'années et celui qui mourra le plus tôt font la même perte, car c'est du moment présent seul qu'on doit être privé, puisque c'est le seul qu'on possède, et qu'on ne peut perdre ce qu'on n'a pas."



Ce n’est pas pour autant qu’il faille s’en attrister. Relativiser la peur de la mort et l'angoisse existentielle permet justement de se focaliser sur l'instant présent. Agissons pour le Bien et notamment le bien commun, et notre vie n’en sera que meilleure : nous pourrons alors quitter notre enveloppe corporelle sereinement. Les Dieux sont souvent cités par Marc Aurèle, mais ce n’est pas pour autant qu’il n’opère pas un renversement de perspective. Il envisage à chaque fois les deux éventualités : soit ils existent, soit pas, mais dans tous les cas cela ne devrait pas nous poser souci car cela est complètement indépendant de nous. En outre, cette éventualité ne doit surtout pas nous empêcher de mener notre existence dans le respect des principes qui doivent nous guider, à savoir, notamment et de manière non exhaustive, la mesure et la tempérance, le souci de son prochain, la modestie, la courage face à la souffrance et la mort, englobés finalement dans ce qu’on peut nommer la sagesse ou la philosophie.


L’Homme est d’ailleurs constitutif d’un Tout, l’univers et le monde bien sûr, mais également la société, représentée par la Cité à l’époque. De cela découlent deux choses: d’une part, ce qui nous arrive, que cela soit une bonne ou une mauvaise chose, sert toujours l’intérêt global et collectif. Donc il ne faut pas s’attrister d’un malheur qui s’abat sur nous, car ce malheur, s’il est présent, c’est que la destinée l’a voulu et qu’il est nécessaire. D’autre part, si l’Homme est partie intégrante de la société, c’est qu’il ne peut pas s’en détacher complètement, même s’il peut arriver qu’il s’en retire temporairement. Ainsi, puisque l’Homme doit vivre avec les Hommes, autant qu’il se comporte de la meilleure manière avec eux, et quand bien même ces derniers se conduiraient eux-mêmes d’une mauvaise manière, il ne faut pas leur en vouloir puisqu’ils ne sont pas conscients de leur faute. Finalement, agis bien et la société te le rendra en gros :



Les hommes sont faits les uns pour les autres ; instruis-les donc ou supporte-les.



L’auteur romain n’hésite pas à répéter souvent les mêmes réflexions, mais leur lecture n’en est pas rébarbative pour autant, non seulement parce que la manière dont elles sont dites change, mais surtout car cela permet plus facilement de s’en imprégner et de retenir les principes essentiels du stoïcisme pour quiconque cherche à relativiser et prendre de la hauteur sur les choses, ou tout simplement devenir quelqu’un de meilleur.


En bref, ces pensées de Marc Aurèle, sont bien plus que des pensées pour lui-même. Elles sont au contraire universelles, parfaitement applicables à notre époque, et transposables dans les sociétés modernes. La marque d’un chef d’oeuvre ? J’ai tendance à dire que oui, même si dans ce cas, il s’agirait d’un chef d’oeuvre involontaire, ces notes n’ayant pas eu pour but d’être rendues publiques au départ. C’est dire le génie de Marc Aurèle, quoiqu’on pense des actions qu’il a menées en tant qu’Empereur.


PS : Aucun mot sur la nouvelle traduction, n’ayant pas lu l’ancienne, mais le texte m’a paru parfaitement fluide et relativement facile à lire. Dans tous les cas, cette édition des Belles Lettres est un magnifique objet. Les illustrations en noir et blanc intercalées entre les chapitres (ou plutôt Livres) sont par ailleurs superbes.

Siouz

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