Petit traité sur l'immensité du monde par TiggerLilly

Petit précis de philosophie du voyage, cet essai de Sylvain Tesson nous emmène dans ses pas aux quatre coins du monde : chevauchant les steppes, escaladant les cathédrales, dormant dans l'entrée d'un immeuble ou arpentant les forêts de Sibérie, l'auteur semble avoir tout fait, tout vu.


Il explique :


"Depuis que j'observe les éleveurs de yacks au Tibet, les cavaliers de Mongolie, les berges afghans ou les sherpas de Khumbu, et depuis que - par périodes- je m'essaie à les imiter, j'en suis venu à la conclusion que le nomadisme est la meilleure réponse à l'échappée du temps. Mon but n'est pas le rattraper mais de parvenir à lui être indifférent."


Moi qui me sens pourchassée par le temps qui passe et qui suis hantée par l'idée de la mort qui finira par arriver, inéluctable, ce depuis mon adolescence, et avec une acuité qui s’accroît exponentiellement chaque jour que je passe à travailler, à poireauter dans les transports ou dans de quelconques files d'attente, j'envie cet état d'esprit. C'est presque un super pouvoir d'être indifférent au temps alors qu'il obsède le monde entier.


Je me suis rendue compte que cette lecture n'avait rien d'agréable pour moi quand je me suis retrouvée à bouquiner ce petit livre, littéralement écrasée entre un gars et la porte dans un RER bondé s'éloignant de Paris à une allure de tortue. Comment se prendre en plein dans la face la médiocrité de son existence. C'est là que la raison de cette envie de voyage à l'autre bout du monde, sur un continent où je n'ai jamais mis les pieds, dans des steppes où à l'infini on ne voit que l'herbe et le ciel prend tout son sens. C'est le compromis que mon moi branché matérialisme et confort casanier veut bien donner à mon moi qui rêve d'aventures.


"Comme les Mongols, ces fils du vent, il [le vagabond] pense que la terre est dure et le ciel lointain, mais il apprécie que la première lui serve de paillasse et le second d'auvent."


Sinon à part ça, le livre, je l'ai trouvé fouillis, fourre-tout. Je suppose à l'image d'un sac de vagabond. Du coup j'ai quand même eu un petit peu de mal à m'y retrouver. On passe du coq à l'âne sans transition aucune. Les chapitres s’enchaînent sans logiques apparentes. C'est bourré d'anecdotes de voyage livrées brutes de décoffrage, nous offrant un regard, lacunaire cependant, sur les autres cultures.


"Il m'expliqua que des ivrognes s'endorment chaque hiver dans la rue par une nuit de neige et qu'on les retrouve cinq mois plus tard quand le printemps fait fondre leur linceul. On les compte par centaines en Russie. On les appelle les "perce-neige""


L'auteur en plus d'être voyageur est aussi quelqu'un de très instruit : il a d'excellentes références littéraires. De nombreux auteurs sont cités. Il propose même une petit bibliothèque du vagabondage où Kerouac côtoie Nietzsche, Shakespeare ... et Tolkien.


"Il y aura Tolkien pour ne pas oublier de ne jamais regarder les choses comme on croit qu'elles sont. Il y aura Soseki et son économie de l'âme pour éteindre le feu allumé par Tolkien."


Un chapitre est consacré au voyage à cheval. Il est bien trop court. Cela dit, ce qu'il en dit est fort juste et ce n'est pas l'objet principal du livre.


"Le point de fusion est atteint quand l'homme et sa bête réagissent en même temps à l'adversité, débusquent la bonne pâture ensemble, esquivent le danger ou l'embûche d'un même geste, sans concertation. C'est l'entente ultime, complicité qui permet à chacun de prévenir les humeurs de l'autre. Le cheval devient miroir des émotions du cavalier."


Bref, le monde est immense, c'est un fait, et ce traité est petit, c'est un fait aussi. On ne met pas l'immensité du monde dans un livre. C'est avant tout un petit bouquin d'invitation au voyage. A voyager différemment , ce l'auteur appelle le "nomadisme" ou le "vagabondage", un voyage qui n'a pas d'autres but en soi que de rester indifférent au temps qui passe.


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TiggerLilly
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le 21 nov. 2014

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