Depuis la parution en 2000 de ce livre ironique et mordant dès son titre, les «Petites natures mortes au travail», ces travailleurs fragiles qui résistent mal aux petits métiers, sont sans doute plus mortes que jamais, car la précarité et le chômage n’ont pas cessé de gagner en vivacité.


«cdd d’aujourd’hui, dcd de demain, videurs posthumes de greniers, ex-psychiatrisés en rééducation taylorienne, retourneurs de crêpes en hiver, cracheurs de white-spirit, fleuristes itinérantes, opératrices de saisie bancaire, licenciés en sociologie du licenciement, yogi à grande flexibilité horaire, porteurs de perche hors champ, pigistes pigeonnés sous presse, junkies sevrés à la tâche…»


Après un premier chapitre en forme de liste de petits métiers pas si improbables que ça, Yves Pagès nous décoche vingt-trois flèches, vingt-trois courts récits saisissants entre témoignage et fiction, des portraits qui dénoncent l’aliénation et la précarité du salariat moderne, mais sans simplification outrancière, tout en montrant les contradictions ou continuités surprenantes dans lesquels nous sommes nous-mêmes plongés, à l’image de cette femme ayant choisi l’agritourisme pour ses vacances et qui se retrouve dans une ferme concentrationnaire, élevage de 28 000 poussins. Epouvantée, elle passe ses vacances alitée, avant de retourner à son poste de travail.


«À l’autre extrémité de ce cauchemar à la chaine, quand Alice retrouvera son poste de caissière et les vingt-huit mille codes-barres mémorisés par le lecteur optique de l’hypermarché, elle se sentira presque soulagée de s’en être sortie vivante.»


Un homme étouffant dans un costume de Pluto à Disneyland, des consultants réducteurs d’effectifs, une femme africaine sans papiers embauchée au noir pour faire de la figuration au cinéma, la femme enquêtrice pour un institut d’études qui remplit elle-même tous ses questionnaires, ou encore le clochard acteur face à son public dans le métro : Avec une virtuosité pour tordre le langage et nous faire profiter de son pouvoir de subversion, un sens aigu de la provocation, les shots du travail précaire d’Yves Pages seraient totalement jubilatoires, si tout ceci n’était pas si familier.


Touchée, coulée.

MarianneL
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 5 mars 2014

Critique lue 387 fois

3 j'aime

1 commentaire

MarianneL

Écrit par

Critique lue 387 fois

3
1

Du même critique

La Culture du narcissisme
MarianneL
8

Critique de La Culture du narcissisme par MarianneL

Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de Christopher Lasch n’est pas du tout une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la...

le 29 déc. 2013

36 j'aime

4

La Fin de l'homme rouge
MarianneL
9

Illusions et désenchantement : L'exil intérieur des Russes après la chute de l'Union Soviétique.

«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos cœurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de...

le 7 déc. 2013

35 j'aime

Culture de masse ou culture populaire ?
MarianneL
8

Un essai court et nécessaire d’un observateur particulièrement lucide des évolutions du capitalisme

«Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous...

le 24 mai 2013

32 j'aime

4