A vrai dire, je ne suis pas un grand lecteur.
Les mots m'ont toujours parus trop nombreux ou trop lents.
Les romans eux, m' ennuient avec leur luxe de détails et de descriptions qui ne me font
en définitive rien voir.
Quant aux poètes, ils font trop souvent les poètes.
A une époque donc, je cherchais des failles dans le système, et un jour j' ai trouvé un homme qui avait creusé une faille.
Quand je suis tombé sur les livres de Michaux, j' ai eu la sensation de trouver
un honnête homme, sincère, un écrivain limpide, qui creusait une voie
curieuse, intime, moderne sans être opaque, et loin des routes empruntées.
Poète sans en être un, il est plutôt une sorte de scientifique de son propre espace,
qui s' efforce de décrire des combats imaginaires avec des analogies incongrues qui tordent le cou à la réalité, mais après tout, celle ci nous tord bien le cou, elle aussi.
Michaux essaye souvent de mettre la main sur quelque chose qui s'enfuit, il fouille et remue, cherche en pleine nuit à attraper des congres à main nue, à fixer des paysages furtifs et délirants, et parfois il cherche aussi un abri .
C'est le cas dans " Poteaux d'angle", qui est un peu un journal intime sans dates
où sont rédigées des notes de parades contre le monde, ce vieux problème,
ainsi que contre les autres, ces vagues curiosités qui encerclent et cherchent à prendre le pouvoir.
"Poteaux d'angle" sont ses carnets du sous-sol, son terrier, comme on veut,
des notes écrites par un homme pour qui le lien au monde n'a jamais été de soi,
mais qui a trouvé sa position.
Michaux fut un héros très discret, un spécialiste de rien, mais un grand savant,
sans aucun doute.