Critique rédigée quand j'étais en terminale.


L'auteur s'appelle Yvan Tourgueniev, m'en demandez pas plus je n'en sais pas trop à son sujet mis à part qu'il vivait près de Moscou au début du 19ème siècle, et qu'à la fin de sa vie il portait une barbe blanche. L'oeuvre, c'est "Premier amour", un petit livre d'une centaine de pages, très facile à lire, juste et pertinent, qui raconte la première histoire d'amour d'un adolescent de seize ans, Vladimir, avec sa jeune voisine.


A la même époque, l'Europe littéraire est secouée par les thèses romantiques importées de l'Allemagne entre autres par Madame de Staël, une intellectuelle fille de ministre, sacrément passionnée.


Bref, le romantisme pour faire simple, c'est le cri du cœur de toute une nouvelle génération d'écrivains et de poètes qui en ont eu par dessus le bourrichon des règles classiques, de l’impérialisme de la raison et des sempiternelles inspirations antiques. Les créations de Racine, Corneille, Malherbe, Boileau, 17ème siècle révolu et tutti quanti deviennent comme disait Stendhal "l'art de plaire à nos grands-pères". On en revient au merveilleux comme au moyen âge avec des créatures fantastiques, des intrigues étranges, on se passionne pour l'expression du "moi", "o temps suspend ton vol", pour la Nature sauvage et vibrante, on innove le théâtre en l'appelant "drame", et enfin pour tout dire on veut de l'authentique et du nouveau. Dans cette veine, y a Victor Hugo, Gauthier, Lamartine, Goethe pour ne citer qu'eux. Et que ce soit voulu ou pas, Tourgueniev ne fait pas exception. Il a "quelque chose" de Romantique, un peu à la Byron, à la Lamartine... Et dans premier Amour, nous naviguons dans l'âme torturée et neuve d'un jeune amoureux.


Vladimir Pétrovitch est donc un adolescent qui se prépare à rentrer à l'université. Pour réviser ses examens d'admission, il se rend dans la maison de campagne de ses parents, au sud de Moscou, un peu comme nous le faisons vis à vis du baccalauréat. Ses parents font partis de ces riches aristocrates russes protocolaires, qui vivent avec faste jusque dans le mobilier, les vêtements, ou les manières. Chapeaux à voilettes, plumties, taffetas, bijoux pour les dames, par-dessus, pipes en nacre et bottes reluisantes pour les messieurs. Vous comprenez, ils ne sont pas du même monde que les gueux ou les bourgeois, ils sont racés ! Le jeune homme comme tout adolescent, ne se rend pas bien compte par ailleurs de sa condition sociale, il est encore innocent, mal informé, idéaliste. C'est vrai, constatez ou rappelez vous combien à l'adolescence le métier de nos parents, ou l'intérieur de votre porte monnaie étaient secondaires dans nos sujets de discussions, et nos relations avec les autres. Nous étions par ailleurs plus libres, moins engoncés, vivants. Et Premier Amour, c'est le portrait d'un jeune homme comme nous, (ou moi j'évite les généralités) sentimental et utopiste face au monde qu'il commence tout juste à explorer.


Ce constat est d'autant plus vrai voire plus significatif lorsqu'il rencontre la fille de ses voisins, Zénaide, une jeune demoiselle bien jolie, un peu plus âgée que lui. La première fois qu'il la vit, c'était alors qu'il se promenait méditatif dans les jardins de sa demeure, et, passant derrière un gros buisson : il entendit un rire sonore, cristallin et se cacha dans les branchages pour l'épier. A partir de là, le jeune héros amoureux fera tout pour la revoir et la courtiser. Il est totalement captivé. Celle-ci à l'oeil vif, coquin, elle a un peu roulé sa bosse, et sent immédiatement qu'elle a tapé dans l'oeil du jeune Vladimir. Vladimir quant à lui est timide et mal expérimenté, regarde avec des yeux de merlan frit cette fille intrigante, extraordinaire dont les moeurs de bourgeoise l'étonne et le fascine. Elle semble si libre et ça sonne si différent de chez ses parents où comme tout adolescent on lui impose des règles de savoir vivre, couvre feux et projets d'avenir. Celle-ci reçoit le soir des "invités", jeunes galants, artistes, nobles déchus ou ruinés qui jouent jusqu'à l'aube à des jeux d'argent, se délectant d'apéritifs en mêlant conversations badines et mondaines. -So exiting- se dirait on sans savoir.


Les parents de Zénaide en effet sont de simples bourgeois endettés qui se démènent comme ils peuvent pour survivre au "fisc". Ils misent un peu tout sur leur fille pour dégoter un mari qui les sortirait de cet embarras, c'est pourquoi celle-ci cultive l'amant comme d'autres à l'arrivée de l'été plantent les tomates. C'est en d'autres termes une courtisane, une entretenue qui espère comme elle peut une bague et une condition sociale. Elle, la misère, le désir de s'en sortir lui sont familiers et ça l'a rendue sans doutes éveillée plus rapidement. Tout n'est pas blanc ou noir, la jeune fille bien sûr porte un regard bienveillant sur cet adolescent follement épris, ignorant de ses difficultés, totalement dévoué et s'amuse à le séduire, l'interloquer, le garder sous sa coupe. Mais d'un autre côté elle se rend bien compte aussi qu'il est trop jeune pour qu'elle ait quelque avantage à s'investir. Elle l'aime bien en somme, et on sent chez elle un certain regret de ne pas avoir été une autre personne avec une autre vie. En outre, les parents de Vladimir ne voient pas d'un très bon oeil cette amourette, connaissant le caractère excessif et absolutiste de leur fils, d'autant qu'avertis et perspicaces, ils se rendent tout à fait compte du jeu de la jeune fille. Mais plus un parent dit à son adolescent de fils de pas faire quelque chose, plus celui-ci s'entête c'est bien connu. D'autant que la mère de Zénaide, très heureuse d'avoir un jeune aristocrate chez elle se montre extrêmement plus sympa que ses parents. Vladimir donc s'entête. Il lui écrit des poèmes, travaille sans trop de zèle ses examens préférant se rendre dans son jardin pour continuer d'épier la jeune fille, fugue le soir pour assister aux réunions galantes et parier son argent de poche. Tout lui semble aventureux, vrai, épatant.


Le roman met alors en scène du début à la fin cette histoire d'amour, cette "désillusion" progressive du jeune homme vis à vis de lui même et qui peu à peu va prendre conscience des autres et du monde, pour arriver à l'âge adulte, cet âge de perspicacité et de réalisme. C'est une oeuvre pessimiste pour certains, cependant elle est enrichissante ne serait-ce que pour se confronter à une vision de l'adolescence et donc de soi même. Je la recommande vivement à tous les gosses amoureux, et à tous ceux qui ont envie de se rappeler de cette époque où tout semblait nouveau, possible et merveilleux.

Mouchni
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le 21 oct. 2019

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Soso la bricole

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