Emprunt d'onirisme, ce récit se veut à la fois troublant et subjuguant.

L'onirisme se fait sentir en grande partie à cause des symboles qui se dessinent dans le roman : le marais, lieu de rendez-vous privilégié de Jared et Josie, est ici pensé dans son acception la plus glauque. Cet espace parait aussi menaçant que le faucon et le serpent qui l'habitent : des animaux qui, dès le commencement de l'histoire, affolent Josie et font figure de présage puisqu'ils métaphorisent très clairement le personnage amoral de Jared, son ascendance et sa perversion...

Les images fantasmagoriques sont évidemment la première caractéristique à donner au récit une dimension onirique, mais le ressenti éprouvé à la lecture en est une autre, car ce livre vous absorbe de la même façon qu'un rêve. Il vous propulse dans la fange et vous prenez plaisir à vous y enliser doucement, qu'importe que l'ambiance et les faits autour soient tout à fait inquiétants...

L'atmosphère des plus étranges qui se dégage de ce livre a été pour moi, à elle seule, une expérience proprement stupéfiante et hypnotique.

Hormis cela, "Premier amour" recèle d'autres originalités qui lui permettent de se distinguer, d'en faire une lecture « à part ».

Dès le début du récit, la solitude se fait ressentir en s'imposant de plus en plus lourdement à mesure que le récit progresse...

Josie est d'abord seule dans son incompréhension quand Delia, sa mère, l'arrache sans la moindre explication à son existence préalable. Elle est seule dans sa peur, délaissée par son instable mère et enfin solitaire dans la souffrance et les supplices que lui inflige Jared Jr, envers qui elle éprouve une irrépressible fascination qu'elle assimile à de l'amour...

Jared étant le seul à s'apercevoir de sa présence et à "s'occuper d'elle", Josie semble revenir à lui de façon systématique en dépit du caractère éminemment morbide de ses "attentions".

Terriblement suggestif, ce roman dénonce avec beaucoup de subtilité et d'intelligence l'emprise qu'ont respectivement Jared Jr et Delia sur Josie...

A ce stade, je me pose toujours la question de savoir si Josie ne cherche pas inconsciemment à "appartenir" à Jared pour s'affranchir d'une mère à la fois égoïste et moralisatrice.

Le ton réprobateur qu'emploie volontiers Delia envers sa fille fait office de sévère héritage et donne lieu à des intervalles où Josie ne s'exprime plus à la première personne du singulier, mais à coups de « tu ». Ces moments, en l'occurrence, semblent se manifester lorsque l'enfant porte un regard critique sur ce qu'elle fait/vit voire qu'elle ne paraît pas assumer ses agissements...

Enfin, Joyce Carol Oates signe ici une critique incisive de la religion qui, par le personnage fanatique et déséquilibré de Jared, apparaît comme porteuse de béantes frustrations et en ressort profondément viciée.

Ce roman illustre donc une sexualité noire, à mi-chemin entre inceste et pédophilie. On y trouve un érotisme malsain/inconvenant dont l'objectif est apparemment de desservir la religion. Mais si certains passages sont durs, le récit n'est jamais impudique car Joyce Carol Oates pratique l'art de la suggestion avec brio.

"Premier amour" peut choquer si tant est que des images plus réalistes qu'allégoriques se dessinent dans votre esprit.
Pour ma part, j'ai eu l'impression de faire un rêve funeste sur tons sales où règne un très pesant silence entrecoupé de coups, de cris et d'ecchymoses ; un cauchemar, peut-être, mais dont on refuse bizarrement de détourner la tête et qui persiste longtemps...

Les livres qui laissent des traces font à mon sens partie des meilleurs. Voilà six mois que j'ai lu celui-ci et il demeure intact dans mon esprit... Oates aura donc gravi les sommets de mon estime en seulement 89 pages : une véritable performance !
Reka
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le 19 août 2011

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Reka

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