L'obsession du déclin et le refus peu subtil du manichéisme

Dans "Premier Sang", premier tome de la trilogie de Joe Abercrombie, nous plongeons dans un univers profondément marqué par l'obsession du déclin et un refus catégorique du manichéisme. Cette œuvre se distingue par sa capacité à explorer les abîmes et les failles de la nature humaine, ainsi que les sombres réalités d'un monde en proie à la désintégration morale, sociale, et magique. Abercrombie, avec une plume à la fois crue et précise, esquisse le portrait d'une société à l'agonie, où le lustre de la grandeur passée n'est plus que l'ombre vacillante d'un présent rongé par la corruption et la décadence. Cependant, malgré cette richesse thématique et cette complexité narrative, le récit souffre par moments d'une certaine redondance, où l'exagération des défauts des personnages principaux et la focalisation sur des dynamiques répétitives peuvent atténuer l'impact de l'intrigue. Je souhaite donc livrer mon avis global sur ce premier tome qui, tout en reconnaissant son originalité et sa profondeur, n'omet pas de souligner ses limites intrinsèques.

Obsession du déclin des sociétés présentées

L'univers urbain bureaucratique de l'Union : L'Union, avec sa capitale comme épicentre, incarne parfaitement le concept de déclin. Cet univers est marqué par une bureaucratie étouffante, où les rouages politiques sont grippés par la corruption et un immobilisme social. Les divisions de classe y sont profondément enracinées, illustrant un monde où l'aristocratie, aussi arrogante qu'oisive, se complaît dans une supériorité illusoire, méprisant toute forme de vie extérieure à leur cercle restreint. Cette condescendance envers les "barbares" et les provinciaux souligne une déconnexion tragique avec la réalité, où les véritables menaces sont ignorées au profit de luttes de pouvoir internes et superficielles.

La géopolitique et les tyrannies environnantes : Le contexte géopolitique du récit renforce cette sensation de déclin. Au nord comme au sud de l'Union, des tyrannies menacent, symbolisant des forces destructrices à l'encontre desquelles l'Union semble étrangement impuissante. Ces menaces externes, loin d'unir le peuple de l'Union contre un ennemi commun, semblent plutôt exacerbées par l'apathie et l'égocentrisme des dirigeants, incapables de voir au-delà de leurs ambitions personnelles.

Le déclin de la magie : En parallèle, le déclin de la magie dans l'univers d'Abercrombie sert de métaphore à la perte progressive de la grandeur et du mystère du monde. La magie, autrefois puissante et omniprésente, est désormais un art en voie d'extinction, son usage devenant de plus en plus rare et son efficacité, incertaine. Les esprits disparaissent peu à peu et il est suggéré que le premier et le plus grand mage, Bayaz, ne puisse user de celle-ci avec autant de facilité qu’autrefois. Cette évolution traduit une perte de connexion avec le fantastique, le merveilleux se réduisant à des vestiges du passé, incapables d'insuffler un véritable espoir ou changement dans le présent moribond.

Cet univers, minutieusement construit par Abercrombie, offre donc un cadre sombre et réaliste, où l'ombre du déclin plane lourdement sur chaque aspect de la société. La complexité de cet univers est incontestable, mais c'est également dans cette complexité que réside une forme de redondance thématique, potentiellement lassante pour le lecteur en quête d'évolution et de renouveau. La suite de notre analyse s'attachera à explorer comment cette obsession du déclin se reflète dans le traitement des personnages principaux et dans la dynamique globale du récit, tout en intégrant les limites liées à la redondance et à l'exagération.

Le refus du manichéisme chez les personnages principaux

Dans le cœur battant de "Premier Sang", Joe Abercrombie orchestre avec maestria le refus du manichéisme, plongeant le lecteur dans la complexité morale et psychologique de ses personnages principaux. Ce faisant, l'auteur dévoile une humanité nuancée, où chaque personnage incarne une lutte intérieure entre des aspirations nobles et des instincts plus sombres. Cette section se penche sur la manière dont Abercrombie façonne ses protagonistes, pour révéler les nuances de gris qui colorent leurs existences. Cependant, il est essentiel de noter que cette richesse caractérielle est parfois tempérée par une tendance à la redondance et à l'exagération, ce qui peut affaiblir l'impact de leur complexité sur le récit.

Logen Neuf-Doigts : Logen, surnommé le Barbare le plus redouté du Nord, est un personnage emblématique du refus d'Abercrombie de se conformer à une dichotomie morale simpliste. Ancien guerrier sanguinaire, Logen est introduit à un moment de sa vie où la violence incessante de son existence commence à peser lourdement sur son âme. Sa réputation de brutalité est en contradiction flagrante avec sa quête personnelle de sens et de rédemption. Logen incarne la lutte éternelle entre le passé et la possibilité d'un avenir différent, symbolisant la complexité du spectre moral que l'auteur souhaite explorer.

Malgré sa nature impitoyable sur le champ de bataille, Logen se révèle être un personnage profondément réfléchi, marqué par un désir de s'éloigner de la spirale de violence qui a défini la majeure partie de sa vie. Cette dualité est au cœur de son personnage : un guerrier redoutable qui marmonne "Je suis toujours vivant" après chaque bataille, non pas comme une célébration, mais comme un constat mélancolique de sa survivance continue dans un monde où il aspire à plus que de la violence. Pourtant il n’est qu’un guerrier et rien d’autre qu’un guerrier, aucune autre voie ne lui semble accessible.

Incapable d’imaginer une alternative, il se contente de vivre le présent refusant l’avenir. C’est un héros qui ne fait que fuir. S’il décide finalement de rejoindre le Sud et de retrouver le premier Mage et de l’accompagner dans sa quête, ce n’est pas une tentative, du moins consciente de rédemption, d’un idéal, d’un objectif, mais c’est bien la résignation de se laisser porter par un présent. Lorsqu’il apprend des esprits que ce dernier le recherche, il part en sa direction, sans aucune réflexion, sans véritable but, simplement résigner à fuir son passé. Sa terre natale lui est hostile, son roi dont il était le champion l’a banni, ses compagnons viennent de mourir, du moins le croit-il. Et lorsqu’il atteint le fameux mage, il refuse d’en savoir plus sur sa quête, l’avenir n’apportant que malheur à son esprit et accepte, résigné, sans véritable raison, de l’accompagner et d’accomplir tout ce que celui-ci lui demandera. Il tente de fuir l’espoir même d’une rédemption.

Cependant, cette complexité est parfois éclipsée par la redondance dans la présentation de Logen. Son dégoût pour son passé sanguinaire et ses réflexions sur la violence et la survie sont des thèmes récurrents qui, bien que fondamentaux pour comprendre sa psychologie, tendent à être réitérés au point de risquer la lassitude du lecteur. De plus, la représentation de sa lutte interne flirte par moments avec l'exagération, ce qui peut diminuer l'efficacité de sa caractérisation et rendre ses dilemmes moins percutants.

En définitive, Logen Neuf-Doigts demeure un exemple poignant de la capacité d'Abercrombie à créer des personnages multidimensionnels, dont la profondeur échappe aux catégorisations manichéennes simples. Son parcours illustre magistralement le thème central du roman, même si la manière dont il est parfois abordé peut en atténuer la portée et l'impact.

Continuant notre exploration de l'œuvre de Joe Abercrombie, nous abordons maintenant le refus du manichéisme à travers les personnages principaux, un élément central qui enrichit la complexité narrative du roman. Cette partie se penchera spécifiquement sur le personnage de Sand dan Glotka, illustrant parfaitement cette thématique tout en révélant les limites inhérentes à la redondance et l'exagération de ses traits.

Sand dan Glotka : Ancien champion d'épée transformé en tortionnaire, Glotka incarne une complexité fascinante. Sa conversion d'un héros de guerre à un bourreau reflète l'érosion des idéaux et la prévalence du cynisme dans un monde en déclin. Glotka, avec son corps brisé et son esprit acéré, symbolise la dégradation physique et morale. Sa perception du monde est teintée par la souffrance et l'amertume, le poussant à voir la corruption partout et à ne faire confiance à personne. Cependant, sa quête de vérité, même dans les méandres tortueux de la bureaucratie de l'Union, montre une intégrité paradoxale. Il s'applique à son travail avec une diligence qui frôle l'obsession, cherchant la vérité dans un monde qui semble l'avoir abandonnée.

Glotka est un refus vivant du manichéisme. Sa transformation en tortionnaire n'est pas présentée comme une chute morale simpliste, mais plutôt comme une réponse complexe à un monde impitoyable. Il est à la fois victime et perpétrateur, un homme dont la bonté a été broyée par les rouages d'une société corrompue. Abercrombie réussit à le rendre à la fois repoussant et profondément humain, suscitant empathie et répulsion. Cependant, l'exagération de sa mesquinerie et de son cynisme peut parfois frôler la caricature, sapant légèrement la complexité du personnage. Son obsession pour la vengeance, bien que compréhensible, est répétée avec une telle insistance qu'elle risque de lasser le lecteur.

Au-delà de l’antipathie qui naît de sa satisfaction à torturer, l'un des aspects les plus gênants de Glotka est sa relation avec Jezal, un jeune noble et épéiste talentueux. Cette dynamique offre un aperçu cohérent de la psychologie de Glotka, marquée par une jalousie profonde et une mesquinerie qui semblent, à première vue, détonner avec le reste de son caractère. Jezal représente tout ce que Glotka a perdu : la jeunesse, la beauté, la gloire potentielle, et une vie exempte des cicatrices physiques et morales qui définissent l'existence actuelle de Glotka. En Jezal, Glotka voit un miroir de son moi passé, un rappel constant de ce qu'il était avant sa capture, sa torture, et sa transformation en inquisiteur.

Cette jalousie maladive envers Jezal est paradoxale car elle contraste avec l'intégrité cynique que Glotka applique dans son rôle d'inquisiteur. Bien qu'il se perçoive comme une victime de la société et de ses circonstances, son dédain envers Jezal révèle une facette mesquine, presque enfantine, de son caractère. Il désire voir Jezal échouer, non seulement dans ses entreprises amoureuses mais aussi dans sa carrière d'épéiste, espérant secrètement assister à sa chute lors du tournoi annuel des épéistes. Cette attitude dépeint Glotka comme un homme qui, bien qu'ayant subi d'immenses souffrances, est capable de souhaiter le malheur d'autrui, surtout si ce dernier incarne ce qu'il a irrémédiablement perdu.

La complexité de Glotka est ainsi mise en lumière ; il est à la fois un personnage profondément touchant de par sa résilience face à l'adversité et un homme dont les profondes cicatrices psychologiques le conduisent à des sentiments de revanche et de rancœur injustes. Abercrombie utilise cette dynamique pour explorer la dualité de la nature humaine, où les grandes souffrances peuvent coexister avec une grande mesquinerie, et où les héros ne sont pas exempts de faiblesses morales.

En conclusion, la jalousie de Glotka envers Jezal ne fait qu'ajouter à sa complexité en tant que personnage. Elle souligne le refus d'Abercrombie de simplifier ses personnages en héros ou en vilains unidimensionnels. Malgré cette jalousie et cette mesquinerie teinté de puérilité, Glotka reste le personnage le plus intriguant, car il est celui qui dévoile des vérités et fait tomber les masques.

Jezal dan Luthar : Incarnation de ll'archétype du jeune noble insouciant, bercé par les privilèges et la désinvolture caractéristique de l'aristocratie de l'Union, une société clairement marquée par les signes d'un déclin moral et social. Beau, talentueux et doté d'un charme indéniable, Jezal navigue dans la vie avec une aisance qui n'est permise que par son statut privilégié. Sa vie est une succession de plaisirs faciles, de tournois d'escrime où il brille sans véritable effort, et de soirées mondaines où il est célébré comme l'exemple même de la jeunesse dorée de l'Union.

Dans cet environnement cloisonné, Jezal est à la fois le produit et l'illustration parfaite de cette aristocratie déconnectée, dont la superficialité et l'égocentrisme semblent être les uniques préoccupations dans un monde en crise. Sa désinvolture, bien que le rendant naturellement sympathique et même charmant aux yeux de ses pairs et des lecteurs, sert en réalité de façade à une profonde ignorance des réalités plus sombres et complexes de l'univers qui l'entoure.

Cependant, c'est précisément cette désinvolture et cette déconnexion qui posent les bases d'une évolution notable chez le personnage. La rencontre avec Ardee West, par son contraste saisissant avec le monde que Jezal connaît, agira comme un catalyseur, révélant les limites et les défauts de sa perception du monde et de lui-même. Sa relation avec Ardee sera le miroir devant lequel les failles de son caractère et de son éducation aristocratique seront exposées, le poussant vers un chemin de remise en question et d'évolution personnelle.

La dynamique entre Jezal et Ardee West est essentielle pour comprendre l'évolution de Jezal au cours du premier tome. Au début, Jezal, avec son arrogance de noble, est immédiatement intrigué par Ardee, non seulement pour son apparence mais aussi pour son comportement qui tranche radicalement avec les femmes de son entourage habituel. Sa personnalité vive, son indépendance et son franc-parler le surprennent agréablement mais le mettent également mal à l'aise, car il ne sait pas comment interagir avec une femme qui ne rentre pas dans le moule de la courtoisie aristocratique qu'il connaît.

Cette interaction initiale, où Jezal perçoit l'intérêt d'Ardee comme une aubaine pour elle, révèle son narcissisme et sa superficialité. Lorsqu'il réalise qu'Ardee ne voit pas les choses de la même manière, sa réaction est d'abord celle de l'irritation, puis de la confusion. Il est décontenancé par sa propre attirance pour quelqu'un qui défie ses critères habituels de désirabilité, et par le fait qu'Ardee ne recherche pas activement son attention ou son approbation.

Progressivement, Jezal découvre qu'il est véritablement attiré par ce qui rend Ardee unique, et cela le conduit à expérimenter des sentiments d'amour véritable pour la première fois. Cette prise de conscience se fait cependant de manière maladroite, marquée par des réactions immatures qui soulignent son inexpérience émotionnelle. Ses tentatives d'interagir avec Ardee oscillent entre le désir de se rapprocher d'elle et la peur de ses propres sentiments, ainsi qu'une considération pour son amitié avec le frère d'Ardee, le Commandant West.

L'immaturité de Jezal dans ses relations émotionnelles est logique étant donné son isolement dans le monde restreint de la noblesse et son manque d'exposition à des relations authentiques. Cependant, la manière dont cette immaturité est présentée dans le roman tend parfois à exagérer ses traits enfantins, ce qui peut nuire à la perception du personnage par le lecteur. Au lieu de dépeindre un jeune homme aux prises avec des émotions complexes et nouvelles, Jezal semble parfois régresser à des comportements puérils, ce qui contraste avec les moments de lucidité et de croissance personnelle qu'il expérimente par ailleurs.

En dépit de ces éléments, la relation entre Jezal et Ardee constitue un fil narratif captivant, soulignant à la fois la capacité de Jezal à évoluer et les défis inhérents à cette évolution. Cette dynamique ajoute une couche de profondeur à son personnage, illustrant le potentiel de changement même chez ceux qui semblent les plus superficiels ou égocentriques au premier abord.

Bayaz, le Premier Mage : Présenté dans "Premier Sang" comme une figure énigmatique et puissante, il se révèle être parmi le personnage principal le plus monolithique. Sa stature dans le récit est celle d'un personnage enveloppé de mystère, dont les motivations profondes et l'étendue de ses pouvoirs restent largement inexplorées. En tant que l'un des derniers mages vivants, il incarne la connexion vivante avec un passé où la magie était bien plus prévalente et puissante, ajoutant ainsi une dimension supplémentaire au thème du déclin qui imprègne l'ensemble du récit.

Bayaz est présenté comme un personnage dont la confiance en lui et l'assurance semblent inébranlables, ce qui, combiné à sa connaissance approfondie des événements historiques et des secrets du monde, lui confère une autorité naturelle auprès des autres personnages. Sa décision d'emmener un groupe hétéroclite de personnages, y compris Logen Neuf-Doigts, dans une quête mystérieuse, suggère des desseins qui dépassent la compréhension immédiate des autres personnages et du lecteur.

Cependant, cette assurance et cette autorité rendent Bayaz moins accessible, moins vulnérable, et donc moins complexe aux yeux du lecteur, par rapport aux autres personnages principaux. Ses interactions avec les autres sont souvent teintées d'une certaine condescendance, voire d'une manipulation subtile, ce qui contribue à son aura de mystère mais limite également la possibilité d'explorer sa psychologie de manière plus nuancée.

De plus, l'usage de la magie par Bayaz, bien que spectaculaire dans certaines scènes, soulève des questions sans toujours offrir de réponses satisfaisantes. La rareté et l'ambiguïté de ses pouvoirs magiques, ainsi que le flou entourant ses véritables intentions, peuvent parfois frustrer le lecteur, désireux de comprendre davantage la nature et les limites de la magie dans l'univers d'Abercrombie.

En résumé, Bayaz, tout en étant un pilier central du récit et un vecteur important pour le thème du déclin de la magie, demeure un personnage dont la complexité est moins explorée, restant relativement statique et insondable. Sa présence suscite l'intérêt et pose le cadre pour des développements futurs dans la trilogie, mais laisse le lecteur sur sa faim quant à une compréhension plus profonde de sa nature et de ses motivations. Il semble davantage appartenir à l’Histoire du monde, sans incarner souvent une réalité humaine, à l’exception de ces quelques accès brefs de colère.

Les ambitions de l’auteur concernant ses personnages sont claires mais si elles sont louables, la réalité est beaucoup plus mitigée. Tous sont intéressants et nuancés, cependant tous développent une unique problématique interne redondante. Glotka présente le plus d’originalité cependant car il incarne un rôle peu commun, ce n’est ni un guerrier, ni un mage, ni un voleur, ni un diplomate. L’originalité de Jezel tient malheureusement en réalité surtout au fait que son immaturité soit davantage prononcée jusqu’à le déconnecter de la réalité, au contraire des autres archétypes du courtisan bretteur désinvolte mais cela le rend aussi moins sympathique car il n’a pas le cynisme du courtisan véritablement à l’aise avec la psychologie humaine. En fait, Jezal et Glotka divise simplement l’archétype habituel du bretteur, Jezal conserve l’apparence et la dextérité de celui-ci mais sans sa finesse verbale, sa langue acérée, sa désinvolture est superficielle, il a le corps mais non l’esprit alors que Glotka au contraire possède l’esprit cynique, la réplique acerbe, mais plus le corps du bretteur. Cette division est intéressante par la dynamique potentielle qui en découlera. Mais cela n’a pas suffi à l’auteur, pour ces deux-là, il a voulu ajouter une immaturité un peu trop exacerbée qui peut finir par agacer. On a tout de même l’impression qu’en voulant prendre le contre-pied des attentes, il finit par être aussi cliché que les modèles qu’ils tentent de saper. D’ailleurs, Logen n’est finalement pas si original et ressemble beaucoup à l’archétype du héros de David Gemmel et Bayaz n’est pour l’instant qu’une version moins sympathique du Belgarath d’Eddings.

Une dynamique narrative mitigée

Bien entendu, au-delà de leurs personnalités, c’est la dynamique des personnages et du récit qui apportent parfois tout son sel à un roman de fantasy. Il convient déjà de noter, que si les personnages principaux proposent de nuancer les archétypes manichéens qui pourraient être attendues, en intégrant des défauts exacerbés qui seront le moteur de la dynamique de chacun. Il suffit de se tourner vers les antagonistes pour que l’auteur revienne à un manichéisme pur et simple. Bethod au nord est un tyran craint et rusé qui soumet tous ses rivaux par la force et règne par la crainte, l’empire méridionale est dirigé en coulisse par une figure maléfique, blasphématoire et malveillante, et l’insigne lecteur Sult dans l’Union est le parfait opportuniste ambitieux qui ne recherche qu’à gravir les échelons du pouvoir. C’est aussi de là que découle la pesanteur du récit, personne n’est d’une bonté unidimensionnel, mais plusieurs sont d’une méchanceté ou d’un égoïsme unidimensionnel. Et ces derniers ne semblent pas mûs par une dynamique.

De plus, la focalisation principale du récit sur la capitale de l'Union, tout en permettant d'introduire de manière détaillée cette société complexe et en déclin, contribue paradoxalement à une certaine stagnation de l'intrigue principale. Les péripéties vécues par Jezal et Glotka, bien qu'enrichissantes pour la compréhension de l'ambiance et des enjeux politiques internes de l'Union, tendent à s'éloigner de l'avancement de la trame centrale. La romance pré-tournoi de Jezal s'avère être davantage une exploration de ses relations interpersonnelles qu'une contribution à l'intrigue principale, tandis que les missions répétitives de Glotka, malgré leur intensité dramatique, peinent à surprendre le lecteur, accentuant ainsi une sensation de redondance.

L'évolution des personnages principaux, cruciale dans tout récit de fantasy, souffre d'une certaine lenteur et, dans certains cas, d'une prévisibilité qui en diminue l'impact. Logen Neuf-Doigts, malgré une complexité initiale appréciable, ne montre pas d'évolution notable au fil du roman. Jezal, quant à lui, bien que son évolution soit perceptible, suit un arc narratif assez prévisible, qui se conclut de manière abrupte avec son départ, brisant la dynamique émotionnelle nouvellement établie. Glotka, le personnage le plus dynamiquement développé, découvre une vérité personnelle vers la fin qui promet une évolution intéressante pour les tomes suivants.

L'introduction de nouveaux personnages dans la seconde moitié du roman est un élément à double tranchant. D'une part, les subordonnés de Logen, présumés morts auparavant, apportent une fraîcheur bienvenue et promettent des interactions riches et divertissantes dans le contexte du Pays des Angles. Leur présence permet de maintenir un lien avec une région clé du monde d'Abercrombie, tout en enrichissant la dynamique globale du récit. D'autre part, Ferro, malgré un potentiel d'évolution, apparaît initialement comme une figure redondante, doublant certaines des caractéristiques moins reluisantes de Glotka sans apporter de nouveauté significative à l'intrigue.

Conclusion

Ce premier tome met en place un univers ou plutôt des personnages intéressants. On sent que l’auteur aime provoquer le lecteur par des personnages en partie antipathiques et un univers cynique. Dans sa volonté de refuser le manichéisme et d’établir un récit cru et réaliste, il manque cependant régulièrement de subtilité et insiste trop lourdement sur certains aspects n’apportant pas suffisamment de variété ou d’une dynamique suffisamment riche. Tout est cependant aussi intéressant qu’agaçant et bien des éléments promettent un potentiel développement plus intéressant par la suite, quelques éléments me laissent aussi malgré tout circonspect. La suite au tome 2….

Vyty
7
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Créée

le 10 mars 2024

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Vy Ty

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