Séguier réédite PROFESSION: FRIPOUILLE de George Sanders, autrefois publié au Puf sous le titre MEMOIRES D'UNE FRIPOUILLE, ce qui revient au même, mais qui se retrouve agrémenté ici d'une traduction rafraichie de Romain Slocombe, qui s'est fendu pour la fête d'une post-face admirative, et triste, sur l'autobiographie de cet admirable bon à rien qui se détestait si profondément qu'il n'y arrête pas d'être incroyablement gentil avec les autres (bien que légèrement moqueur quand même) tout en se dénigrant tout le temps, de manière systématique.
Sanders, que tout le monde croyait anglais parce qu'il s'habillait avec chic et vous regardait avec dédain, était en fait un fils de russe blanc né à Saint Petersbourg. Sa boisson de prédilection était la vodka même s'il se suicida au whisky et au nembutal (cinq tubes, selon les conseils d'un ami), à 65 ans, seul et à poil dans une chambre d'hôtel de luxe en Catalogne.
Il prétendait s'ennuyer et ne pas prendre ni son métier, ni l'amour, ni le cinéma, ni les femmes, ni les hommes, ni l'art, ni la vie, - et lui-même n'en parlons même pas -, très au sérieux. En lisant ces mémoires attentivement, on n'en croit finalement pas un mot.
Il se vantait de ne jamais lire ses scénarios, de ne jamais aller se voir à l'écran, de ne jamais quoi que ce soit. Les féministes de maintenant lui ratiboiseraient la couenne pour quelques déclarations qu'il fit à la presse (à jeun ou pas, de toute façon il détestait les journalistes et leur disait n'importe quoi), des formules très Sacha Guitry, très Bernard Shaw, alors que ce serait oublier qu'il fut marié 5 ans à la tonitruante Zsa-Zsa Gabor, qui consomma 9 maris sans en recracher un seul os.
Il fait le con en nous racontant qu'il n'a aucune mémoire, lorsqu'il fait semblant de ne pas retrouver le nom de Robert Mitchum quand il le croise lors d'une party (ce qui faisait marrer Bob), ni celui de Zsa-Zsa deux ans après leur divorce (ce qui ne la fit pas rigoler du tout, elle connaissait ses trucs), alors qu'il se souvient très bien que Marilyn Monroe était une jeune femme incroyablement sensible et intelligente quand elle se confiait un peu, et qu'à l'inverse il n'avait pas "physiquement" pu écouter un seul truc de ce que Hedy Lamarr lui avait raconté tellement il s'était retrouvé bouche bée devant tant de beauté.
Sinon, il se fout de la gueule de Yul Brynner et la mort de Tyrone Power l'a traumatisé.
Des mémoires à lire pour découvrir tout le contraire de ce que son auteur raconte. Sanders était un sensible un peu lâche, totalement inadapté. Mais il l'a fait avec talent.
(comme dirait l'autre: toute une vie bien gâchée, mais avec classe).