Radix
6.7
Radix

livre de A. A. Attanasio (1981)

"Radix" décrit un univers post-apocalyptique original à plusieurs égards :

- en 1981, un trou noir de Kerr s'approche du système solaire et ouvre la Terre à des radiations élevées, ainsi qu'à des particules/êtres venus d'univers parallèles. Les principales cultures disparaissent, les humains naissent avec des difformités génétiques, l'espèce humaine décroit considérablement et ne garde que de vagues souvenirs de son passé "kro" (un placement de produit ?). En revanche de nouvelles espèces apparaissent, à commencer par les voors, extraterrestres télépathes qui se nourrissent de psynergie (énergie mentale) et qui rêvent de trouver une patrie pour leur race.

- La Terre est très morcelée : le roman se passe sur ce qui semble avoir été la cote est des Etats-Unis, bien que le relief, la végétation et mêmes les points cardinaux aient changé. Il y a plusieurs races : les masseboths, descendants des humains, qui vivent dans un environnement punk totalitaire ; les yopla, d'anciens singes génétiquement modifiés pour être des esclaves, qui se sont libérés des humains et conservent une civilisation avancée, mais complètement coupée des autres ; les distors, spécimens d'humanité difforme, classés en fonction de leur degré de difformité, et utilisés comme esclaves ou tout simplement mis à mort par les masseboths ; au nord, enfin, on trouve la mystérieuse civilisation Eo, une autre héritière de la science humaine, qui repose sur des orts (des cyborgs biomécaniques) et est dirigée par un esprit-Dieu, le Delph.

Le principal point à comprendre pour adhérer à cet univers est que l'esprit scientifique rationnel n'y a pas sa place, puisque des esprits-dieu (entité pouvant modeler la réalité par sa force d'esprit) ou des créatures comme les devas (tourbillons de feu) ou les raels (sorte de méduses dérivant dans le ciel) y malmènent perpétuellement le principe de causalité. ça, ça ne me dérange pas.

Non, le principal problème vient de la trame principale, qui est un gigantesque bordel sans nom. Le héros, Sumner Kagan, est une structure vide, comme il l'avoue lui-même, et du coup on ne peut s'identifier à lui que par à-coups : c'est pourtant bien à lui que l'histoire, qui le présente comme un messie (mais un messie fort décevant), veut que le lecteur s'identifie.

Dans la première partie, "Les distors" Kagan est un obèse qui vit chez sa mère et a des tendances psychopathes (il se fait appeler "le Sucrerat"). Il a un enfant avec une voor, Jeanlu. Il finit par être arrêté, tabassé et envoyé dans un camp de la mort où il subit un lavage de cerveau.

Dans la deuxième partie, "Les voors", Kagan ne cesse d'évoluer, mais les étapes de son chemin initiatique sont assez caricaturales : on est dans le comics, pas dans la littérature. D'abord Kagan se fait remarquer pour ses aptitudes de tueur et devient Ranger (troupe d'élite). Il subit à ce titre une initiation dans les marais qui fera sourire les fans de "L'Empire contre-attaque". Devenu une machine à tuer masseboth, il affronte son fils Corby, qui tente une possession à moitié réussie de son corps. Kagan fuit dans le désert, s'installe dans une tribu d'indigènes, les serbotha, sous la direction d'un mentor télépathe, Râclos. Râclos se fait tuer par un ort envoyé par le méchant Delph : la trâme se noue enfin péniblement aux deux tiers du livre. La dernière partie est consacrée à l'affrontement contre le méchant, qui s'avère ne pas être le Delph, mais son second, Rubeus, un cyborg qui prétend à la conscience. C'est long, ça n'en finit pas, et j'avais l'impression de lire la novélisation d'une B. D. de Jodorowski.

Bon, résumons mes reproches.

- Radix est un roman-univers, on l'a compris, la longueur de son appendice, opportunément appelé "jargon" en fin de livre, suffit à le faire comprendre. Les biographies de fin de volume fournissent un bel exemple du style ampoulé, pseudo-philosophique, du livre. Je livre ici celle de Sumner Kagan, pour que le non-initié se fasse son opinion : "La peur psynergique du Delph, engendrée par le cerveau saturé de psibérant de Jac Halevy-Coehn, s'est manifestée à travers les siècles sous diverses formes humaines, toutes animées d'une hostilité métaordonnée envers le Delph. Sumner était le dernier des avatars de peu, connus sous le nom générique d'Eth. Bien que des événements ontiques et hors-temps eussent déterminé sa vie, Sumner ne cessa de se battre contre l'impersonnalité cosmique de sa destinée d'Eth pour se définir comme un individu. Il prouva à quel point il y était parvenu en dépassant sa souffrance personnelle et son antipathie archétypale envers le Delph pour sauver Jac et Assia au risque de sa vie".

Tu le sens, le jagon ampoulé ? Pleure. Ce livre fait partie de ceux qui m'a posé le plus de difficultés à lire, et pourtant j'ai lu "Dune", "Le festin nu" de Burroughs et "La mort de Virgile" de Ernst Broch.

- Je suis désolé, mais la réflexion philosophique relève du magasin de farces et attrapes, au même titre que les BD de Jodorowski. Il ne suffit pas de montrer un héros qui ne cesse de souffrir physiquement et mentalement, en mâtinant son récit de références au bouddhisme, à la Bible, à Carlos Castaneda, et en émaillant les dialogues de citations pompeuses du genre : "La pensée est relation, pas action. L'esprit est action. Le corps est l'océan. Nous retournons au néant" pour que ça fasse un bon récit. Le personnage de Kagan est un espèce de fourre-tout sans épaisseur, qui oscille entre le born-again et le héros de comics qui règle tout à coups de poings. Beaucoup de détails de son initiation, comme son épisode de mâle reproducteur chez les serbothas, mâtiné de tantrisme-pour-les-nuls, sont tout simplement risibles.

Et pourtant je ne nie pas que le livre est intéressant. Ce qui me restera le plus, c'est ce doigt d'honneur fait au rationalisme, et certains passages comme la révolte des yoplas. En piochant au hasard des pages, on tombe sur des descriptions de paysages magnifiques, ou de belles trouvailles. Il y a souvent une bonne idée par paragraphes, et les scènes d'action sont très visuelles (presque trop). Mais à trop vouloir mettre de choses ensemble, à empiler les références au long de chapitres-fleuves (un découpage plus régulier et plus modeste aurait tout changer), à multiplier les maximes à l'air profond, Attanasio saborde sa barque et ce qui aurait pu devenir une oeuvre unique devient un monstre à dix têtes.

Désolé, j'aime la SF dans sa diversité, mais "Radix" fut une souffrance plus qu'un plaisir, et je ne crois pas qu'une relecture change quelque chose. Ma lecture était ponctuée toutes les 5 minutes de "Qu'est-ce que c'est ampoulé/ridicule/répétitif !". Je mets 5 pour l'originalité, mais c'est vraiment par charité.
zardoz6704
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le 29 déc. 2012

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