James Cook s'inscrit dans une grande lignée d'explorateurs. Mais contrairement à Christophe Colomb ou Magellan, qui cantonnaient leurs voyages au récit du bord et dont les considérations étaient biaisées par leur volonté d'évangéliser et de convaincre leur roi des richesses des nouvelles terres découvertes, et contrairement à ce brigand de Drake, qui prend plaisir à recenser tous les ports péruviens qu'il a rançonnés à la cour d'Espagne, Cook recherche l'exploration pour elle-même.


En témoigne le peu de temps qui s'écoule entre chacun de ses voyages (et l'on parle de voyages qui à chaque fois, durent plusieurs années). Revenu du premier le 13 juillet 1771, il repart en avril 1772. Revenu du second fin juin 1775, il repart le 12 juillet 1776 (mais les préparatifs courent dès avril), juste après avoir vu des navires anglais partir tenter de rétablir l'ordre dans les colonies d'Amérique du Nord.


Il faut dire que Cook est un observateur-né, qui a à coeur de s'entourer de spécialistes. Dès la deuxième expédition (qui compte deux bateaux après le souvenir cuisant d'un échouage qui aurait pu être catastrophique sur la grande barrière de corail au sud de l'Australie), il inclut dans son équipage des astronomes, des horloges marines dernier-cri, un naturaliste, un peintre. Il emmène avec lui une science très précise des voyages de ses prédécesseurs Tasman, etc... et de son rival français, Bougainville (auquel il reproche de ne pas donner clairement ses relevés de coordonnées géographiques). Il émet des critiques sur les cartes et les observations de ses prédécesseurs : on sent qu'il a passé de longues soirées à disséquer les cartes fort incomplètes et à planifier ce dont aurait besoin une expédition sérieuse. Il expérimente, en lâchant un couple de cochons sur telle terre, ou en plantant des légumes européens et en repassant plus tard voir s'ils ont prospéré. Il démontre aussi par l'expérimentation sur ses marins les meilleurs moyens d'éviter le scorbut (choucroute, tablettes de bouillon portables, moût, citronnade...)


Suivant les traces de Jean de Léry pour le Brésil, c'est aussi un précurseur de l'ethnologie. Bien sûr, quand il décrit le teint et la morphologie des "naturels", on pourrait le soupçonner de racisme. Bien sûr, il y a quelques incidents qui amèneront la mort d'autochtones (surtout dans le premier voyage). Mais sur ce point, la doctrine de Cook est nette : il cherche des relations pacifiques d'échange. C'est pourquoi il commence toujours par faire démonstration, à vide, du pouvoir des armes à feu, pour imposer d'entrée de jeu la supériorité européenne, mais c'est afin d'assurer la tranquillité de son équipage pour ce qui ensuite tend vers des relations de commerce et de bon voisinage.


Au reste, il recherche le contact des autochtones. On sent qu'il développe au fil des voyages un art de ces moments de découverte mutuelle où l'on ne sait pas encore si l'autre et pacifique ou non. Il invite les rois les plus amicaux à dîner sur le bateau. Un des moments qui me laisse le plus rêveur est celui, dans le troisième voyage, où après avoir été reçu par des fêtes à Tahiti, il récompense les Tahitiens par un lancer de feux d'artifice. Moments d'éternité improbables...


Et Cook est sensible aux différences entre les peuples, il fait du comparatisme avant l'heure. Il embarque souvent des autochtones qui servent d'interprètes (Toupia pour le premier voyage, Omaï pour le deuxième et une partie du troisième). Il s'interroge sur le peuplement de ces îles en cherchant les preuves de contact (plantes, langage, techniques), et les différences (vêtements, coiffures, tempérament). Il sonde les structures politiques et religieuses, parfois avec une insistance déroutante (je pense à ce moment où il fait un trou dans une palissade de bois pour assister à une cérémonie taboue). Evidemment, il a les préjugés de son époque, mais il n'en reste pas à la simple horreur de Magellan de voir que mon Dieu, ces indigènes sont nus ! Et s'il déplore le penchant au vol des autochtones, il l'excuse dans le récit du troisième voyage, car il a conscience que le choc technologique fascine les peuples rencontrés et les pousse à voler pour observer.


Le seul regret qu'on puisse avoir est qu'au fond, ces journaux sont tellement pensés pour aider des navigations ultérieures, et donc axés sur le maritime, l'ethnologique, le géographique, qu'au fonds on a assez peu de détails sur la vie du bord. Et pourtant transparaît une volonté de ne faire jamais se finir le voyage (et une fierté de ramener la plupart des hommes sains et saufs). Cela m'évoque (sans doute à tort, vu la rigueur morale de l'époque) une ambiance à la Cousteau, de navigateur humaniste universel, avide de nouvelles découvertes, adulé par son équipage. Et puis quel palmarès de découvertes ! La France fut bien sotte de ne pas allouer autant de crédits à Bougainville, puis Lapérouse.


Je pourrais détailler les voyages, je le ferai seulement à gros traits. L'édition de La Découverte est une intégrale fidèle au texte d'origine qui manquait en France. On peut bien sûr déplorer que les planches qui accompagnaient les livres n'aient pas été reproduites, ou que les cartes soient peu détaillées (c'est un livre qu'il faut lire avec un atlas en main pour en profiter pleinement).


Le premier voyage est le plus rude et le plus incertain. Outre l'incident qui fait manquer le bateau, par deux fois, de couler corps et bien sur la barrière de corail, on y trouve un récit du passage du Cap Horn, une description détaillée de la Nouvelle Zélande et des Aborigènes d'Australie. On notera l'ironie : si l'équipage a été très peu malade à l'aller, c'est sur le chemin du retour, après une halte dans la fétide Batavia, qu'un tiers de l'équipage meurt de dysenterie.


Le deuxième voyage a pour objectif de vérifier ou d'infirmer la théorie d'un continent austral. Cook file au sud du Cap de Bon Espérance, se heurte à la banquise au niveau du 71e parallèle puis remonte vers la Nouvelle Zélande, qui avec Tahiti sera une de ses principales bases. Il pousse jusqu'à l'île de Paques, visite les Tuvalu et les Tonga avant de revenir par le Cap Horn. On y trouve aussi un récit de cannibalisme pas piqué des hannetons.


Le troisième voyage revient plus en détail sur les îles Tonga, signale la présence des Fidji (sans y aller) et découvre les îles Cook. Après une halte à Tahiti, Cook fonce au Nord à la recherche du fameux passage du Nord qui permettrait de contourner l'Amérique, et tombe sur Hawaï (qu'il surnomme îles Sandwich, en hommage à son protecteur ; il ne voit pas la plus grande île). Il remonte la côte nord-américaine du Pacifique, de Vancouver aux Aléoutiennes (alors colonisées par des aventuriers russes), passe le détroit de Béring et rencontre des Tchouktches sur la côte russe. Il redescend sur Hawaï, séjourne sur l'île principale d'Hawaï. Quelques jours après être reparti, un mât casse, et ils doivent rebrousser chemin. Et ce retour inopiné se passe mal, assorti d'un désenchantement des habitants, qui étaient persuadés pour une part que Cook était Orono, une divinité censée revenir sur Terre. A la suite d'une série de malentendus graves, une émeute aboutit à la mort du capitaine et de quatre marins. L'éditeur rajoute le journal du médecin du bateau, qui décrit le drame. La manière dont les Hawaïens ramènent le corps du capitaine, par morceaux, a quelque chose de tragique et dérisoire. Je comprends que cet épisode soit souvent mentionné. Il est émouvant.


Passionné par la découverte de cultures autres, sévère et rêveur, professionnel et téméraire, observateur indiscret et au fonds vaguement conscient qu'il aide à paver la route à des colonisations violentes, James Cook est une des figures les plus respectables parmi toutes celles des grands explorateurs européens.

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le 27 août 2019

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