Alors j'ai enfin lu (enfin écouté en livre audio) ce fameux livre qui passe de mains en mains dans mon entourage, accessoirement top des ventes partout en France.
J'ai beaucoup de critiques en tête qui pourraient se résumer ainsi : Salomé Saqué dénonce des pratiques de l'extrême droite (médias orientés financés par des milliardaires, intimidations sur des journalistes, violences en manif…), que l'on retrouve tout aussi bien de l'autre côté du spectre politique. C'est un peu décevant, mais S. Saqué adopte sans s'en cacher un point de vue de gauche, donc comme qui dirait : elle prêche pour sa paroisse et c'est de bonne guerre.
Dans la même veine, en journaliste S. Saqué souhaite avant tout la diffusion d'une "information de qualité" pour combattre les fake news de l'extrême droite, en citant notamment les médias alternatif auxquels il faudrait s'abonner (traduisez : "donnez des sous à Blast svp"). Bref, elle range dans "information de qualité" ses propres biais idéologiques, à deux doigts de donner le monopole de la vérité à ses médias préférés, mais encore une fois l'essai n'a pas la prétention de la neutralité.
En fait je trouve surtout gênante la superficialité de l'ensemble, qui ne me paraît pas servir à autre chose qu'à galvaniser les déjà convaincus, et éventuellement persuader certaines personnes très peu politisées d'un danger rampant de l'extrême droite. Cette extrême-droite d'ailleurs, c'est quoi en fait ? Manié par S. Saqué, le terme semble ratisser très large: elle cite les partis situés à droite de LR, les assos identitaires, tout ce qui touche de près ou de loin aux allemands des années 30, puis viennent ensuite les influenceurs mascus, les tiktokeuses tradwife… Il faut combattre tout ça à la fois, effectivement ça fait peur ! C'est un poil abusé de mettre Thais D'Escufon et le 3e Reich dans le même panier quand même, on est en pleine panique morale.
En fait beaucoup d'arguments de S. Saqué me paraissent soit faibles, soit carrément datés. Pour reconnaître le fascisme : les 14 signes d'Umberto Eco, on souffle un peu (et notons que sous cet angle LFI est probablement aussi fasciste que le RN, pas sûr qu'elle soit d'accord). S. Saqué invoque des idéologies mortes et enterrées depuis presque 100 ans, dans un roleplay années 30 qui ne permet pas de saisir les enjeux d'aujourd'hui, et donc de convaincre. Est-ce pertinent en 2025 de rappeler que le RN a été fondé par des nazis ? Pourquoi n'y a-t-il pas de procès en stalinisme du PCF alors ?
Autre gros problème du livre, c'est son immense angle mort. S. Saqué, en journaliste encore une fois, parle de ce qu'elle connaît : le monde médiatique. Seulement, à l'écouter, elle semble penser que les idées sont modelées et remodelables par le seul discours, par la seule influence des médias. La parole performative quoi. Les idées d'extrême-droite montent : la faute à Bolloré, CNEWS, et à la fachosphère sur Internet. La solution ? Blast, Mediapart, et le journal L'Humanité. A aucun moment elle n'aborde l'économie, les conditions de vie des gens, en bref d'autres causes concrètes qui font monter le vote RN et les idées qui vont avec, et c'est tout le problème. Partant du constat qu'en 2025 les modes de vie, les phénomènes culturels et sociaux, les conditions économiques, sont fondamentalement différentes de celles d'il y a 100 ans (population plus urbaine, flux migratoires de masse, mondialisation, internet, classe moyenne, économie tertiarisée, etc…), on comprend tout de suite qu'y calquer une grille de lecture années 30 c'est au mieux naïf, au pire manipulatoire.
J'ajoute une remarque qui m'est tout à fait personnelle : sur la forme, je n'ai pas beaucoup apprécié le style d'écriture, très scolaire, très première de la classe. S. Saqué nous enjoint à partager des articles de presse à notre entourage, mais "dans le respect des droits d'auteur", effectivement on va droit vers le Grand Soir là…