Maurice Genevoix est cet auteur que j'ai découvert, un peu par hasard, à travers son roman Raboliot puis ses récits de guerre puis ses romans de la Loire. Et on devine à travers ses romans comment il s'est lui-même construit après les terribles souvenirs de la Grande Guerre. Il y a, chez lui, comme un besoin irrépressible, vital du désir de témoigner, que ce soit de son expérience de la guerre ou que ce soit de la beauté ou de l'harmonie de la nature
"Rroû" comme "Raboliot" et d'autres romans de la Loire racontent au fond la même chose. Je veux dire que, revenu de cette satanée guerre dont il est sorti vivant mais gravement blessé, il n'a eu de cesse de chercher et de trouver à travers ces romans rustiques ou de terroir des valeurs qu'il avait pu croire définitivement perdues. Raboliot n'en revient pas de sa chance d'en être sorti vivant et n'en finit pas de vouloir profiter désormais de sa liberté totalement, sans aucune entrave, fût-elle réglementaire. Et Rroû n'en finit pas de découvrir la vie et les plaisirs qu'elle promet. Et le jour où il survit à une grave blessure, passant près de la mort, son instinct n'aura de cesse de retrouver cette liberté qu'il a bien failli perdre.
Rroû est un petit chat noir intrépide dont Genevoix va nous faire vivre son lent apprentissage de la vie. Clémence, la vieille bonne d'un médecin l'adopte et le chérit mais ne peut évidemment pas l'empêcher de partir à l'aventure. C'est que dehors, il y a la lumière, des bruits, des odeurs, toutes sortes de choses si attirantes. Et quand il comprend rapidement qu'il suffit d'oser, il n'y a plus de limites au monde, il n'y a plus de limites au bonheur.
"Oser, oser avec prudence, aller un peu plus loin quand l'heure propice est arrivée, c'est bon. Sans doute est-ce louable et magnifique ; mais d'abord et surtout c'est bon".
Mais c'est quand le médecin et la bonne partent en vacances à la campagne, à la Charmeraie, que Rroû fait alors l'expérience de la liberté totale où il découvrira avec volupté la chasse, le copinage avec Kiki, le chat du voisin, l'amour avec la séduisante Câline qui adore qu'on se batte pour gagner ses faveurs ou son admiration, la bagarre terrible avec Nez noir et Raies Jaunes (qui eût mal tourné si Clémence n'était pas arrivée à la rescousse). Que c'est bon, que c'est bon !
Quel plaisir de suivre Genevoix dans les pensées secrètes de Rroû, dans ses tourments de petit fauve qui s'ignore pour retrouver ce paradis une fois les vacances terminées.
"Une sorte de folie l'avait pris, un délire de bonheur et d'orgueil. Toutes les attaches étaient rompues. Seul et libre dans le bois sauvage, il se roulait dans les feuilles à plein ventre ; et son cri fauve – arroû ! – chantait au bord de la fontaine."
Bien entendu, cette liberté tant recherchée se paie cash car le monde immense à découvrir est aussi une jungle où les bonnes surprises abondent comme cet écureuil imprudent qui va faire les délices de Rroû mais où les pièges mortels inventés par les hommes ne font pas non plus le détail.
"Au ras des tuiles, sur le mur, les yeux de Rroû restent grands ouverts ; non plus les yeux de Rroû mais deux lueurs immobiles sans regard, qui veillent au cœur de la nuit."
Et je rajouterais bien : des yeux pleins d'étoiles vers cette quête sans fin de liberté et peut-être de puissance.