Les Belles Lettres nous offrent avec cet ouvrage fraîchement paru une édition de grande qualité qui fait honneur au travail monumental de recherche, de compilation, de transcription et de traduction abattu par le médiéviste et paléographe Emanuele Arioli.


Ségurant, le chevalier au dragon, comme son titre l’indique, raconte l’histoire d’un chevalier de l’ère arthurienne dont le clou réside dans la traque d’un dragon qu’il parvient (ou non) à atteindre selon les versions qui nous sont proposées. Mais la quête de Ségurant est loin de se réduire à cette traque. À l’instar des grands romans de chevalerie du XIIIe siècle (en particulier le cycle du Lancelot-Graal), les micro-aventures abondent, s’entrelacent et s’enchaînent avec un rythme effréné, les tons s’entremêlent également, allant jusqu’à colorer d’une légèreté grotesque (en grande partie assurée par des personnages secondaires hauts en couleur comme Dinadan) les confrontations les plus sanglantes, qui ne sont pas sans rappeler l’hécatombe de la bataille de Salesbières dans la Mort du roi Arthur ; cela sans toutefois perdre de vue l’horizon théologique de la Quête du Saint Graal.


Autrement dit, Ségurant apparaît comme l’héritier d’une riche tradition littéraire et le condensé de ce qui se fait de mieux dans le roman arthurien. La traduction d’Arioli qui (aux dires mêmes du chercheur) recherche à la fois la simplicité et l’ambiguïté de la langue médiévale, vise toujours juste et nous rend les aventures particulièrement agréables à suivre. Mais cette clarté de l’expression s’accompagne également d’un travail d’édition tout à fait remarquable. A-t-il fallu attendre 2023 pour faire comprendre aux éditeurs qu’un roman médiéval ne peut se concevoir sans les enluminures des manuscrits dans lesquels il figure ? En accompagnant les différents récits d’illustrations et de pages entières tirées des ouvrages, c’est une imagerie entière qui surgit avec le texte. Or, ce qui fait la richesse de cet ouvrage, c’est aussi la minutie de son organisation, du travail de sélection des versions alternatives qui nous donnent à voir toute l’originalité du roman médiéval, interrogeant notre notion d'auctorialité devant l'abondance des réécritures des copistes.


J’ai été agréablement surpris de découvrir Ségurant et, s’il est regrettable de ne pas l’avoir rendu disponible en version bilingue, comme les Belles Lettres en sont coutumiers, cette édition a l’avantage de le rendre accessible au plus grand nombre, et ce à un prix tout à fait raisonnable. À consommer sans modération.

Lapachellas
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le 14 oct. 2023

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