Surtout pas 1,5 °C de plus. Non mais !...

Tout le monde a en tête des images du Mont Blanc et de sa Mer de Glace qui montrent son recul de plus de 2,5 km et de 200 m d’épaisseur [1].

Et franchement, tout le monde (ou presque) s’en fout ! En voilà une belle affaire ! Eh, dites, si les hivers sont moins froids, ça nous coûte moins cher en chauffage !... Ah !

Eh bien, figurez-vous qu’une petite savoyarde, mignonne comme tout, s’est prise de passion pour ces grands malades que sont les glaciers. Elle se nomme Heïdi Sevestre. Elle est née en 1988 à Annecy et intègre l’École supérieure européenne d'ingénierie de l'espace rural (IER) à Poisy. En 2011 elle obtient un poste de doctorante au centre universitaire du Svalbard [2] (Norvège) et est reçue à l’école doctorale de la faculté de mathématiques et de sciences de l'université d'Oslo. Sa thèse porte sur la dynamique des surges glaciaires [3], soutenue en 2015, puis elle part pendant deux mois en Antarctique étudier la barrière de glace du Larsen C.


La planète a toujours connu des périodes de refroidissement et de réchauffement, mais sur des temps géologiques. Or l’accélération du réchauffement actuel est à l’échelle d’une génération humaine. « À 1 000 kilomètres du pôle Nord, le Svalbard est l’épicentre du réchauffement. Ici on ne parle pas de 2 ou 3 °C d’ici la fin du siècle, mais bien de 7 à 10 °C (voire 20 °C en hiver). Il est vital pour envisager l’avenir de comprendre les processus de la fonte de la glace, là, sous nos yeux, à une rapidité inconcevable à l’échelle de temps de la glaciologie classique. »

Et donc, de ses balades reposantes et exotiques, loin de son bureau, notre petite montagnarde a rapporté la matière de ce livre. Des quatre coins du monde où il fait bon vivre (Brrrrr !), du Groenland, de l’Himalaya, de Colombie, de l’Antarctique… partout, la glace fond !...

Si je ne devais prendre qu’un seul exemple, je choisirais celui de l’Antarctique et du Larsen C, c’est celui le plus complexe, le plus significatif, peut-être le plus instructif à qui veut l’entendre…

Par où commencer ?

Par quelques précisions (définitions ?) pour les ignares, comme moi…

Banquise : c’est une étendue marine ou côtière couverte par une couche de glace provenant de la congélation de l’eau de mer (entre -1 et -2°C). Elle peut être recouverte de neige tassée ou d’eau douce gelée.

Barrière de glace : c’est une plateforme de glace qui constitue le prolongement d’un ou plusieurs glaciers. Celle qui nous intéresse ici (du Larsen C) a une épaisseur d’environ 800 m et est composée de trois couches principales : une fine épaisseur de neige en surface ; puis en dessous la glace venue de la terre, lentement descendue par gravité et qui s’est étirée en flottant sur l’océan ; et l’eau de mer qui gèle en profondeur – la glace sous-marine – et se colle en dessous de la glace continentale.

Le Larsen C : En l’honneur de Carl Anton Larsen, capitaine Norvégien du Jason, navire d’exploration polaire, qui le premier partit en mission autour de la péninsule Antarctique en 1893, on baptisa Larsen A, B et C les trois baies comblées par la barrière de glace le long de la péninsule Antarctique, la partie C étant la plus vaste.

« Le Larsen A s’est effondré en 1995. Le Larsen B a vêlé de nombreux icebergs cette même année et s’est disloqué définitivement en janvier 2002. Cet effondrement s’est produit en quelques semaines. »

Or, sur l’écran des radars d’observation s’affichent d’étranges figures allongées qui ressemblent à de longs serpents, ou à des saucisses ou des boudins de 1 kilomètre de long environ. Des dizaines, des centaines de boudins énigmatiques au cœur de ce mur de glace flottant multimillénaire. C’est de l’eau ! Des lacs d’eau à l’intérieur de la glace ! « J’aimerais croire que ce paysage est inaltérable. Qu’il durera aussi longtemps que son existence passée. Un instant, je ferme les yeux, je revois les boudins d’eau dans sa chair, comme autant de métastases, programmées à proliférer sans remède. Ce corps de la barrière de glace est au mieux celui d’un cancéreux au stade 4. »

Pendant les relevés sur le terrain, on leur signale la présence d’une crevasse, un « rift », visible sur les images satellites. Observée depuis l’avion de l’équipe, la crevasse se révélait large et profonde de plus ou moins 400 mètres, surplombée de falaises immaculées. « En juillet 2017, la faille atteint l’océan, des milliers de fissures se rejoignent, et la barrière vêle le plus grand iceberg jamais mesuré, d’une superficie de 5 800 kilomètres carrés, long de 170 kilomètres, l’équivalent de l’État du Delaware ou deux fois le Luxembourg. »

La libération des millions de tonnes d’eau douce ne va pas contribuer à l’élévation du niveau de la mer (la barrière est déjà dans la mer) mais va modifier la température et la salinité de l’océan.

En effet, les courants marins sont de véritables fleuves circulant à l’intérieur des océans, certains à la surface, d’autres dans la profondeur des mers. Suivant leur position sur le globe, éloignés ou non de l’équateur, ils sont froids ou chauds. Ainsi le Gulf Stream apporte une partie de la chaleur accumulée dans le golfe du Mexique vers l’Europe, adoucissant son climat. Le courant autour de l’Antarctique, brassant les eaux de l’Atlantique, du Pacifique et de l’Océan Indien, est le plus puissant de la planète.

Plus une eau est froide et salée plus elle est dense et plus elle plonge profondément sous les courants de surface et forme les courants profonds. Les uns et les autres effectuent autour des mers et océans une boucle circulante, une sorte de tapis roulant global sous-marin, que l’on appelle la circulation thermohaline.

À cela, ajoutons que les banquises côtières et les barrières de glaces protègent les glaciers côtiers de l’effet des vagues (en 2023 la reconstitution hivernale de la banquise de l’Antarctique a atteint le maximal le plus bas depuis l’établissement des relevés, et de loin – 16,96 Mkm2 [4]). Leur démantèlement et disparition exposent dangereusement ceux-ci dont la fonte provoquerait une montée du niveau des océans catastrophique :

L’Antarctique est un continent d’environ 14 millions de kilomètres carrés (1,5 fois l’Europe), recouvert d’une couche de glace de 1,6 kilomètre d’épaisseur. Comme tous les glaciers, celui de l’Antarctique est en mouvement et, dans son cas, en direction vers l’océan Austral. Dans l’hypothèse où l’ensemble de la calotte du pôle Sud se désintégrerait, le niveau des océans augmenterait de 58 m en moyenne partout sur Terre, bouleversant nos frontières, nos économies.

Le monde, tel que nous le connaissons, disparaîtrait (Sauf erreur de ma part, ma propre maison se retrouverait à une vingtaine de mètres de profondeur…).

Et pourtant, chaque année, lors de la COP, les politiques assis à la table des négociations vivent dans la durée politique, celle des échéances électorales ou ministérielles. Pour les populations, l’urgence d’une action radicale leur échappe complètement puisque tout va à peu près bien à leurs portes. La majorité des citoyens ne fait pas de la réduction de la consommation des énergies fossiles une priorité absolue. Ils sont bien plus préoccupés par les problèmes sociaux ou économiques immédiats. Quant aux entreprises, dont les actionnaires attendent leurs dividendes et les salariés leurs rémunérations, au niveau actuel de taxation du CO2, préférer une énergie fossile à un investissement éolien ou solaire, reste largement rentable… à court terme.

Et puis il y a l’un des montages les plus performants de l’industrie pétrolière, dans ce travail de sape, qui a été de rejeter l’effort de la réduction des émissions sur l’individu, sur le consommateur au lieu de l’entreprise, du producteur et du vendeur. Au point que même l’expression « réduction des émissions des gaz à effet de serre » est un élément de langage répandu par ces mêmes lobbies. Si l’expression n’est pas fausse, elle n’est pas sincère. Elle détourne l’attention en la focalisant sur l’effet (l’émission de gaz) au lieu de désigner l’origine : l’extraction et l’exploitation du charbon, du pétrole et du gaz. « Ce qu’il faut réduire, au plus vite, c’est la production et la consommation des énergies fossiles. »

Mais un autre adversaire, auquel sont confrontés ceux qui rappellent la nécessité primordiale de la réduction de l’usage des énergies fossiles, est un mal beaucoup plus insaisissable, invisible et silencieux. « Ce mal est le manque de connaissances scientifiques, le manque de compréhension de la crise qui est en train de se dérouler sous nos yeux. Ces lacunes se découvrent jusque parmi les négociateurs du climat. Le manque d’une connaissance solide sur le climat ou la glaciologie des responsables, quel que soit d’ailleurs leur niveau de responsabilité, est un obstacle que les scientifiques ont largement sous-estimé ; pire, dont la classe politique et les médias se croient indemnes. »


Alors, au moment de quitter son Université Post-doc, le 1er décembre 2017, Heïdi songe aux neiges du Kilimandjaro qui disparaissent, aux fjords du Svalbard désormais libres de glaces, aux bergers de l’Himalaya qui ne reconnaissent plus leur paysage natal, aux caféiculteurs Boliviens qui voient leur réseau d’irrigation se tarir avec la disparition des glaciers des Andes, au Larsen C dévoré de métastases… Elle pense que l’on peut encore tenter de « sauver la glace et donc l’humanité » et elle se souvient de cette phrase de "Baba Dioum", un ingénieur agronome sénégalais : « À la fin, nous préserverons seulement ce que nous aimons ; nous aimerons seulement ce que nous connaîtrons, et nous ne connaîtrons seulement ce qui nous aura été enseigné. »

« Montrer, enseigner, faire découvrir, ouvrir des perspectives, libérer l’énergie. Oui. »

« Nous ne sauverons la vie humaine sur Terre que parce que nous aurons aimé les hommes, la Nature. Et la glace. C’est cela la « vulgarisation ». Faire aimer. »

Elle est désormais certaine que l’impact de son action sera beaucoup plus efficace qu’en se consacrant à la recherche pure. « Je ne me souviens plus qui a écrit que l’on reconnaît le bon chemin à la joie qu’il procure. »

La "vulgarisation" est fondamentale parce que le changement climatique va modifier le paradigme sur lequel notre quotidien se construit depuis la révolution industrielle, à savoir l’énergie produite par le charbon, le pétrole et le gaz. Ce qui signifie le gaz ou le fuel de notre chauffage, l’essence de notre voiture, le kérosène de nos avions, les dérivés du pétrole dans les plastiques, les textiles, le moindre objet manufacturé…

Et de fait, depuis que j’ai commencé la lecture de ce livre, j’ai déjà rencontré deux entretiens de notre savoyarde, l’un dans "Version Fémina" d’il y a 20 jours et l’autre dans le "Télérama" du 16/12/2023…

Et, bien sûr lors du 3ème entretien du livre "Chaleur humaine" [5].


Ce livre est un réel document de « vulgarisation scientifique » qui se cache derrière une autobiographie où Heïdi décrit ses observations au fur et à mesure de ses expériences professionnelles. Moins factuel qu’une « transmission » classique, cet ouvrage est, de ce fait, plus vécu émotionnellement et gagne en humanité tout en restant riche en enseignements. J’en recommande la lecture à tout climatosceptique ayant l’honnêteté de bien vouloir s’interroger. Il y découvrira une jeune scientifique qui délaisse sa passion – la recherche pure – touchée par la conviction profonde de son devoir de transmettre un savoir à qui veut l’écouter, pour essayer, tous ensemble, de sauver l’humanité.



P.S. : Dernière minute (dernière absurdité) : Connaissez-vous les « Climate interventions » ?

Une trouvaille Américaine qui consiste en une kyrielle de technologies destinées à résoudre les problèmes causés par la technologie : réduire le rayonnement solaire en rendant la surface terrestre plus claire (miroirs, sphères de silice blanche…), rendre l’atmosphère plus opaque au rayons solaires (injections de particules de soufre dans la stratosphère, éclaircissement des nuages marins…), et le tout, pour pouvoir continuer à utiliser les énergies fossiles !...

Alors là, je mets mon grain de sel : notre petite savoyarde a la gentillesse de dire : « Derrière ces projets, on découvre […] des ingénieurs. Ils souhaitent évidemment, comme les climatologues, glaciologues ou océanographes, résoudre le problème de la crise climatique, mais, contrairement aux scientifiques purs, ils pensent le climat de façon simplifiée, en raisonnant comme des ingénieurs, c’est-à-dire en proposant des solutions purement technologiques.

Pour le dire crûment, les ingénieurs nous agacent, nous, les scientifiques de terrain. »

Moi qui suis un "pur technicien" dans l’âme, je dis STOP ! Sans rien connaître de la situation, je suis persuadé qu’ON (politiques, lobbyistes, financiers…) a demandé aux ingénieurs des solutions technologiques pour pallier le réchauffement climatique, et qu’ils ont proposé ce qu’ils savaient faire. Tout en sachant qu’il ne s’agit pas de LA solution mais d’une mauvaise temporisation à court terme. Souvenons-nous de l’entretien n°8 de "Chaleur humaine" avec Aurélien Bigo, Docteur de l’Institut Polytechnique : « L’avenir de la voiture est électrique, mais la voiture n’est pas l’avenir. » Les ingénieurs savent trouver des solutions, même néfastes, même transitoires. C’est leur rôle.

L’erreur ne vient pas des solutions proposées mais de leur avoir demandé des "caches poussières".

« Il est urgent que les États, les gouvernements, les institutions scientifiques, les femmes et les hommes de science, alertent, encadrent ou même interdisent les initiatives des apprentis sorciers et leurs propositions technologico-rassuristes. »

Attention, ma belle, de ne pas sombrer dans le corporatisme, on a vu aussi des "scientifiques" faire fausse route, perdre tout sens commun si ce n’est la raison…



Notes :

[1] https://www.nouvelobs.com/planete/20190628.OBS3872/avant-apres-regardez-comme-les-glaciers-francais-ont-fondu-en-150-ans.html

[2] le SVALBARD, vous savez, c’est cet archipel idyllique (d’après Heïdi) sur le 79e parallèle Nord (mais oui, si je vous dis que l’île principale s’appelle "Spitzberg" vous allez tout de suite percuter !) au Nord-Est du Groenland où il fait nuit presque six mois de l’année, où les 2800 habitants se bousculent à raison de 0,05 habitants au km2 avec des températures moyennes maximales de 8,8°C et minimales de -19,5°C (record de froid -46,3°, de chaud 21,7°)… le Paradis, quoi !

[3] Une surge glaciaire est un phénomène glaciaire brutal et bref qui consiste en une avancée très rapide d'un glacier.

« Certes, seuls 1 à 2 % des 200 000 glaciers de notre planète semblent pouvoir produire des surges, mais ils suffisent largement à changer la donne. […] Et aujourd’hui, à chaque avancée, nous découvrons que la crise climatique est encore plus prononcée que nous ne le pensions. »

[4] https://www.liberation.fr/environnement/climat/la-banquise-de-lantarctique-atteint-un-record-de-petitesse-depuis-le-debut-des-releves-20230926_AEMCRQSYHRFYZJWEWMX7UFNYCY/

[5] https://www.senscritique.com/livre/chaleur_humaine/62317013


Philou33
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le 26 déc. 2023

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