Shy
7.2
Shy

livre de Max Porter (2023)

« Odeur, ombres et tennis foutues »

Le titre, Shy, « timide », n’a pas été traduit, car Shy est le nom d’un adolescent – seize ? dix-sept ans ? – anglais, héros ou anti-héros de ce court roman qui se déroule dans le Royaume-Uni des années 1990 – en 1995 pour être précis (p. 46). Peut-on parler de récit de voyage ? Le fil rouge de Shy, c’est la fugue qui mène Shy de la chambre qu’il occupe à la Dernière Chance, centre pour jeunes délinquants, jusqu’à l’étang qui jouxte le centre.

À ce récit s’entrelacent, distingués par des variations de polices de caractères et de mise en page : des paroles d’adultes entendues, un commentaire de reportage télévisé sur la fermeture de la Dernière Chance, des souvenirs et à deux reprises des reproches mis bout à bout. Dans le dernier tiers du roman revient presque exclusivement le récit de la fugue. En somme, « il se balade en enfilant les souvenirs » (p. 53).

De ce qui a amené Shy là, on saura l’essentiel : « il a taggué, sniffé, fumé, juré, volé, tranché, cogné, fui, sauté, démoli une Ford Escort, détruit une boutique, saccagé une baraque, pété un nez, planté un couteau dans le doigt de son beau-père » (p. 15). Une ou deux de ces actions de gloire sont racontées à grands traits, sous forme fragmentaire, presque impressionniste. Mais Shy ne dit pas grand-chose du volet social de l’affaire, et il me semble qu’on se leurrerait en rapprochant ce roman de la tradition du récit social britannique – Roddy Doyle, Ken Loach, tout ça tout ça...


Ce qui paraît intéresser Max Porter, c’est le versant individuel. Ce qui se passe dans la tête de Shy. La musique qu’il écoute. Comment il sent son corps. Comment il habite le lieu de sa présence – pour reprendre une de ces expressions à la con dont raffole ce qui dans le discours médiatique se rapproche le plus d’une critique culturelle (France Culture, 89.3 FM)… À cet égard, il n’est pas anodin que le roman accorde autant d’importance à la bâtisse qui abrite un Shy habité par le mal-être et la violence, « bloqué dans une maison hantée avec d’autres garçons comme lui. Il ne gagnera jamais » (p. 82). L’adolescent qui erre est ici à peine plus important que le lieu qui va disparaître.

Quant aux adultes… Ce n’est pas le problème. Pas de mère fantasque ou violente, de beau-père complice ou abusif, d’éducateur odieux ou remarquable : si Shy propose un nombre non négligeable d’énumérations, elles sont poétiques, plutôt que véritablement descriptives. Max Porter ne documente pas une existence dans un centre pour mineurs délinquants, il montre, par touches, à quoi peut ressembler l’intériorité d’un adolescent rebelle : « ses pensées sont d’étranges blocs répétitifs qui bondissent à côté de lui, l’attaquent, trébuchent. Tour à tour il se sent plein de courage, de ridicule, de rien du tout. D’affolement. De calme » (p. 39).


De temps en temps, brièvement, un exemple du « schéma d’agression et de riposte, parent violent de la drague » (p. 69) dans lequel sont pris les jeunes pensionnaires, et l’évocation de ce qui leur a manqué et qui aurait pu changer leur vie : un peu d’affection, un regard, une sortie. « Il n’a jamais rien vu d’aussi bien dessiné que le reflet des arbres sur l’eau. Personne ne lui avait dit que la nuit était comme ça hors des villes. Plate, presque trop, mais nette. Silencieuse et respirante. Il faudrait dire ça aux enfants. Leur dire que la nuit est semblable au cosmos » (p. 99-100).

Je ne dévoilerai pas au lecteur de cette critique l’épisode qui tient lieu de climax de la fugue : vu de l’extérieur, il apparaîtrait comique, voire ridicule, alors qu’il n’est ni l’un ni l’autre. Disons que Shy rencontrera des interlocuteurs aussi inattendus qu’adéquats. Et qu’à un moment, on peut revoir cette scène de l’Enfance d’Ivan où l’enfant, entre fleuve et marais, se retrouve face à quelque chose de plus grand que lui et qui le dépasse.

Alcofribas
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le 28 oct. 2023

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