Incontournable Janvier 2023


Je connaissais déjà le tandem Bernard et Roca pour leurs magnifiques albums aux inclinaisons historiques et inspirés de cultures étrangères nous ramenant quelques siècles en arrière. le duo a déjà produit "Cheval vêtu" en s'inspirant des communautés autochtones de l'Amérique du Nord et récidivent avec "Solveig".


Je dois préciser d'entrer de jeu quelque chose qui m'a réellement fait plaisir: Dans "Solveig", Fred Bernard a opté pour la modernité et la rectitude historique en abandonnant le terme "Indien" ( ou même Amérindien) pour le mot "Autochtone". Bien sur, le mieux reste de nommer la nation, ici les Iroquois. Cela peut sembler anodin pour les européens, mais pour nous, américains du Nord canadiens, qui sommes en pleine réconciliation avec nos premières Nations autochtones, délaisser le terme raciste et historiquement erroné du mot "Indien", dont le terme s'explique par l'erreur de Jacques Cartier, l'explorateur qui s'est cru dans les Indes en mettant pied en sol québecois, est fondamental. Nous sommes encore fort déçu, en librairie, de voir des albums et des documentaires produit en France encore employer ce mot. Donc, félicitations à vous Fred Bernard, vous êtes entré dans le 21e siècle et vous avez eu suffisamment de rigueur de travail pour vous renseigner.


L'album en lui même nous amène quelque part dans l'ancien Québec, alors peuplé par une douzaine de nations autochtones. Dans l'album, nous sommes probablement en présence des Mohawks, la nation la plus près de l'Est du pays et habitant la partie basse de la vallée du Saint-Laurent, c'est-à-dire le Grand Montréal. Peuple guerrier sédentaire, c'était alors une nation matriarcale: les femmes avaient voie au chapitre, possédaient les biens matériels et pouvaient même mettre fin aux mariages dont les hommes malmenait leur conjointe ( une énorme avance sur les européens à ce sujet, d'ailleurs).
Un groupe de viking navigue quelque part dans la vallée du Saint-Laurent, à la recherche d'une femme blonde prénommée Solveig. Quand ils repêche une jeune fille et son loup gris adulte, ils croient avoir là une occasion d'avoir des informations sur la femme viking qui a déserté les siens. Une autochtone ayant la peau plus pâle que les siens, des yeux verts plutôt que bruns, son physique laisse croire qu'elle est métisse. Elle se prénomme Winona. Un jeune moine, Adso, ancien moine désormais athée devenu esclave des vikings, tente de communiquer avec elle.
À travers le récit de Winona, nous découvrons le récit d'une femme d'exception, Solveig, une femme viking issue d'une communauté du Groenland, qui va entrer dans leur vie. Femme guerrière dont la force lui inspiré son surnom, Solveig L'Orage ou Solveig L'Eau Rage, a fuit son pays, lasse d'être sous le commandement des hommes de sa famille et déchirée d'avoir perdu sa mère. Elle impose donc à son équipage dont elle est la capitaine un voyage vers le Sud. Elle y découvrira des forêts aux arbres abondants ou la verdure est partout. Quand elle et ses hommes croise la route d'un ours, qui a tué une jeune femme autochtone, ceux-ci sauvent les deux enfants de cette dernière et décident de rapatrier le corps de la malheureuse victime à son peuple. Ce geste de respect et d'empathie leur donne une bonne impression auprès de ces gens. Ce sont des Iroquois, un peuple aussi guerrier que le sont les vikings. Peu à peu, les hommes pâles et barbus issus du Nord se familiarisent avec ces habitants qui ne connaissent ni l'or, ni les pierres précieuse, mais qui connaissent ces terres et leurs richesses. Solveig, qu'on disait incapable de rester en place, pense avoir trouver un havre pour y poursuivre sa vie. Elle décide même de brûler leur bateau afin d'empêcher ses hommes de retourner au Groenland avertir son père et ses frères de son emplacement. Elle épousera le veuf de la femme tuée par l'ours, deviendra la mère adoptive des deux garçons rescapés et aura une fille, nommée Winona. Quand sa tribu est attaqué par un coalition d'Algonquiens et de Hurons, qui voyaient mal l'arrivé de ces étrangers du Nord, Winona s'échappe sous l'ordre de sa mère et c'est ainsi qu'elle a croisé l'équipage viking. Heureusement, Solveig et les siens ont survécus, avec des pertes à déplorer, hélas. Mais la femme viking a retrouvé sa fille et les envahisseurs ont pu être repoussés. le capitaine de l'équipage viking finit par changer d'idée concernant Solveig et promet de ne pas la dénoncer. Cependant, les vikings de l'équipage de Solveig qui le souhaitent peuvent rentrer au pays, même si la plupart ont aussi fonder des familles dans la communauté autochtone. Adso en fait parti, séduit par la jeune femme avec qui il a converser et dessiner durant leur voyage. Winona attend de lui son premier enfant, d'ailleurs. Pour elle, sa famille est un bel espoir pour l'avenir. Un avenir où, essentiellement, les différences et les ethnies sont appelés à ce rencontrer et à coexister.


Le Québec est une terre d'accueil depuis sa fondation, mais son histoire est aussi celle des nations autochtones qui ont été tassés dans le processus. Cela-dit, ce que j'aime de cet album est la connexion entre deux univers, deux groupes ethniques, car c'est à la base de notre Histoire en Amérique du Nord. Nos lointains cousins vikings furent les premiers, mais ensuite ce fut nos plus proches cousins les Français, dont les premiers colons ont eu des épouses autochtones. Viendront ensuite des gens de tout horizon, italiens, vietnamiens, irlandais, écossais, européens de l'Est, pour s'ajouter à la fresque interethnique de la province. Cet élément est l'un des piliers de notre culture et de nos racines.


J'ai beaucoup apprécié que l'autreur apport du bagage culturel autochtone à travers son récit, notamment sur la question du matriarcat, qu'on a chroniquement oublié l'influence sur notre culture actuelle.


Enfin, il y a quelque chose de touchant dans cette seconde vie que s'est choisi Solveig. S'implanter ailleurs n'est pas une mine affaire et n'était surement pas aussi aisé à cette époque qu'aujourd'hui. Si l'histoire de Solveig reste fictive, le fait que des étrangers soient arrivés en sol québecois et canadien est véridique. Les premiers contacts doivent avoir été singuliers, spécialement au niveau des langues, à une époque où les traducteurs n'étaient pas légion.


Les illustrations sont vraiment magnifiques, comme d'habitude, avec leurs couleurs terres et leur douceur sérieuse. Ce sont des albums au graphisme très réaliste. Elles sont également assez crédibles sur les plans historiques et culturel. Bon, je vais préciser ici que contrairement à ce que bien des européens semblent croire, les iroquois ne ressemblent plus du tout à cela de nos jours, avec un style de vie très similaire à celui des québecois. C'est au niveau de la culture, des arts et des moeurs que c'est différent, mais avec le temps, nos communautés autochtones reprennent contact avec leurs racines, leur langue et leur culture, après le terrible épisode des pensionnats chrétiens destinés à les assimiler.


Je note également que les ouvrages de Bernard et Roca sont parmi les rares albums à pouvoir convenir au la littérature jeunesse adolescente et même adulte. Ce sont de bons ouvrages pour amorcer des discutions sur l'immigration, la culture et la diversité, avec suffisamment de texte et de sérieux pour convenir à nos plus vieux.


Nous avons décidé de le placer en littérature jeunesse adolescente, en premier cycle secondaire ( 13-15 ans), mais les professeurs du troisième cycle primaire peuvent sans doute s'en servir également auprès des 11-12 ans.


Catégorisation: Album fiction historique français, littérature jeunesse adolescente, premier cycle secondaire, 13-15 ans+
Note: 8/10

Shaynning

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