Spin
7.7
Spin

livre de Robert Charles Wilson (2005)

Spin, ou le retour de la parabole de la grenouille.

Avant même le début du roman, la première page de Spin annonce :

« Lâchez une grenouille dans de l'eau bouillante, elle en sortira aussitôt d'un bond. Placez-la dans une casserole d'eau tiède que vous mettez à chauffer à feu doux, et la grenouille mourra avant de se rendre compte du problème. »

Je pense que tout le monde connaît cette image, sous cette forme ou sous une autre; mais elle reste fantastique. Elle fonctionne remarquablement bien quand on traite de la dégradation des systèmes politiques, des sociétés, de la façon dont des mesures plus ou moins anti-démocratiques peuvent insidieusement entrer dans les moeurs, de la manière par laquelle on peut se faire manipuler : par petites touches, car un évènement brutal a toujours plus de chances d'engendrer une contestation massive, sauf en cas d'urgence absolue. On peut relier très facilement 1984 d'Orwell, et surtout Matin Brun de Frank Pavloff, à cette parabole.

Amusant : car elle s'applique d'un façon différente, plus littérale d'ailleurs, à Spin. Mais qu'est-ce donc que Spin, pour commencer? Un roman de l'écrivain canadien Robert Charles Wilson, publié en 2005. Un roman de science-fiction, récompensé par le (fort prestigieux) prix Hugo en 2006, ayant connu un bon succès d'estime de par chez nous, et l'une de mes meilleures surprises littéraires de l'année... dernière.
Pourquoi en parler aujourd'hui, alors? Simplement parce que sa suite (relativement inattendue), Axis, vient de paraître en France; comme il est fort probable qu'il me prenne l'envie d'en parler sous peu, une fois celle-ci lue, voici mon avis sur le premier tome de ce qui devrait, apparemment, former à terme une trilogie (business is business, toujours).

Spin raconte, en somme, la fin du monde à l'échelle d'une vie : une fin du monde que personne ne craint vraiment, une fois passée la surprise, car elle n'est pas tout à fait à court terme (ce qui, il faut l'avouer, me semble être une référence au débat actuel sur le réchauffement climatique). Une nuit, les étoiles disparaissent, et l'on se rend compte rapidement que la Terre est désormais entourée d'une barrière derrière laquelle le temps s'écoule beaucoup, beaucoup plus vite : à ce rythme, le danger principal de l'humanité est l'extinction du soleil, qui n'en aurait plus que pour une cinquantaine d'années...
Pourquoi? Comment cela est-il arrivé? Le roman essaiera de répondre à ces questions, qu'il pose dès son ouverture; mais, là est l'originalité, pas seulement.

A respectivement 12 et 14 ans, Tyler Dupree et les jumeaux Lawton, Jason et Diane, sont témoins de la disparition soudaine des étoiles. Ils seront les personnages principaux du roman, avec Tyler pour narrateur (ce qui apparaît après quelques chapitres comme un excellent choix scénaristique), et l'intrigue les suivra sur plusieurs décennies; avec d'un côté le type moyen, mais qui a conscience de ce qu'il est, et auquel on s'attache, et de l'autre les deux génies, en particulier Jason – qui percera les secrets de la barrière, du Spin – puis Diane, dont Tyler est (évidemment) secrètement amoureux depuis le début.
Certains argueront que le style de l'auteur est d'un classicisme à toute épreuve, voire qu'il est banal: grave erreur, car c'est ce style-là même qui donne toute sa crédibilité au personnage central du roman, que l'on nous présente, en un sens, comme l'archétype de la normalité, comme un gars qui finalement nous ressemble. Le procédé est connu, mais il est extrêmement efficace ici, alors que les genres se croisent : roman apocalyptique, tranches de vie, histoire d'amour impossible...

Inévitablement, un certain lyrisme finit par se dégager de l'ouvrage, et certaines scènes, au parfum d'apothéose, finissent par s'imprimer, indélébiles, dans l'esprit du lecteur; tandis que la structure du roman, carrée au possible, en fait un modèle de rigueur mécanique. C'est tout le paradoxe d'un roman qui recherche à la fois le réalisme scientifique, et une forme d'anthologie des comportements humains (amoureux, lâches, traîtres, fous, géniaux, faibles, moraux, et ainsi de suite).

J'aime vraiment. Je regrette juste un final que je juge décevant devant l'ambition initiale de l'auteur, et une suite qui peut difficilement être à la hauteur des élans de l'original...
Kalès
9
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Ils méritent de devenir de grands films, mais ça n'arrivera jamais, Top Robert Charles Wilson et

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le 22 août 2010

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Kalès

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