Dans les films Star Wars, surtout les premiers, c'est assez simple : il y a les gentils Rebelles d'un coté et les méchants Impériaux de l'autre. Étoiles Perdues nous livre une vision moins manichéenne des choses.


Très peu développés dans les films, le fonctionnement et les effets néfastes de l'Empire sont ici décortiqués, en particulier au niveau du recrutement : la fameuse Académie que Luke voulait intégrer au début d'Un Nouvel Espoir (et donc rejoindre les méchants, on a tendance à l'oublier) est ici montrée sous toutes ses coutures.


Le point de vue se veut plus réaliste : dans la réalité, un changement de régime politique ne se traduit pas par une binarité des opinions - ainsi, dès le début du roman, les deux héros admirent (ou ne sont pas dérangés par) l'Empire, à l'image d'un Jamère Burvelle et de son Roi (pertes d'illusions envers l'ordre établi à venir etc).
De prime abord il leur apporte bien des choses - ce n'est que bien plus tard qu'ils se rendront compte de ce qu'ils ont perdu ; bref, de la philo socio-politique comme Star Wars sait en faire, en beaucoup plus poussé (car le point de vue des habitants vulnérables, naïfs et influençables d'une planète paumée est bien plus édifiant que celui des dirigeants de la capitale).
On croise donc Tarkin, présenté comme une figure bienveillante (la logique s'arrête là, Vador & Co restant des connards psychopathes à tous points de vue mais leurs actions ne dérangeant personne).


On a pas mal de réflexions sur la manipulation de la mémoire collective (Bataille de Géonosis ===> Mace Windu criminel), le bourrage de crâne, la désinformation (Rebelles = terroristes).


Ainsi on peut se dire que les officiers Impériaux sont les premières victimes de ce régime totalitaire digne d'une Corée du Nord Cosmique.


Ces figurants que l'on ne voit que quelques secondes dans les films sont omniprésents dans ce roman. Là où ils étaient un travers hollywoodien, ils sont ici humanisés, autant que faire se peut, ce qui rend l'improbabilité, le ridicule, la futilité de certaines situations et détails des films proprement horribles vus par ce prisme.


Après tout, l'Étoile Noire n'était-elle pas peuplée de millions de personnes ne faisant que leur travail, horrifiées et abasourdies, prenant la station pour un simple vaisseau, mais devant obéir aux ordres et ne pas montrer leur désaccord/incompréhension pour ne pas être exécutées ainsi que leurs familles ?


L'Alliance Rebelle n'était-elle pas vue comme un groupe terroriste menaçant de déclencher une guerre de l'ampleur de la Guerre des Clones, et la destruction d'Alderaan n'était-elle pas vue comme dissuasion, un Hiroshima Galactique ?
Pour nombre d'individus lambdas, mal informés depuis des années et ne percevant pas toute la nuisance de l'Empire, c'était le cas.
Raisonnement certes simpliste et bancal mais ouvrant quelques portes. Nous sommes en zone grise !


Ainsi, l'un des deux héros, cynique, rejoint la l'Alliance Rebelle non pas car il lui fait aveuglément confiance pour restaurer un ordre idéal et une autorité mesurée et légitime, mais simplement car au vu de certaines horreurs toute alternative est bonne à prendre.


Nous apprenons donc que nombre de Rebelles et d'Impériaux se connaissaient ou du moins avaient des relations qu'ils devaient oublier pour suivre leurs convictions, quitte à se retrouver à s’entretuer.


L'intrigue commence 8 ans après la Guerre des Clones et se termine après la Bataille d'Endor (nous y reviendrons). Elle chevauche les Épisodes IV à VI et en reprend les événements marquants, en particulier les batailles (Yavin, Hoth, Endor), en leur apportant le point de vue de ces figurants, dont font partie les deux héros.
C'est d'un point de vue littéraire un défaut. Ce roman est difficilement appréciable sans avoir vu les films, il est écrit de façon "jeune et moderne" tout en se passant dans le monde rétro-futuriste des premiers Star Wars et manque de descriptions. Il a son histoire indépendante qui vient être ponctuée d'événements filmiques bien trop peu détaillés surtout pour les non-initiés.
J'ai même du parfois lancer les films pour comprendre ce qu'il se passait (la palme revenant à la partie Cité des Nuages).
Des personnages que l'on voit 3 secondes à l'écran prennent ici une certaine importance narrative, les répliques sont reprises à la lettre... Ce qui est du pain béni pour les initiés, moins pour les autres...


L'histoire en elle-même, sans être mauvaise, recèle pas mal de défauts propres aux romans pour vieilles adolescentes : une fille banale aime un grand homme viril, bal avec jolies robes, stéréotype insupportable de la camarade de classe intello...
Des raisonnements assez limités également, avec une fidélité à l'Empire du personnage féminin proprement stupide ; ce n'est pas un roman littéraire et on le voit au niveau de la maladresse du traitement psychologique des personnages.


Maintenant l'histoire n'est pas mauvaise si l'on est de bonne foi, c’est à peine cucul, ce n'est pas grossier, c’est parfois même assez touchant, parfois trop ridicule... Pour un roman jeunesse c'est en tous cas plus adulte dans le traitement de l'amour et du sexe que beaucoup de romans "adultes" qui sont simplement exagérément grossiers et violents.
Remarquez, peut-être que la "maturité" des romans actuels sont jugés à l'aune de leur vulgarité, je n'en sais rien.


Ce roman est donc une sorte de rencontre entre un gros geek hardcore barbu de 45 ans et une adolescente de 17 ans ; le résultat sans être dépourvu d’intérêt et sans être incompatible avec cet univers, ne ressemble à aucune vision de Star Wars que j'ai pu voir jusqu'alors, dans des romans ou même des jeux, simplement plus détaillés et plus sombres, loin des banales considérations de simples mortels.


Par exemple, voir l'héroïne en uniforme dans un Destroyer Stellaire devant un de ces minitels géants à "trier des données" en ayant peur que Vador ne la tue tandis que se déroule une scène de L'Empire Contre-Attaque à la réplique près, avant d'aller dans son dortoir en pensant à une nuit d'amour de la veille en short et débardeur est pour le moins anachronique et perturbant.


On est loin des histoires de Chevaliers Jedi combattant le mal, méditant dans leur temple, dans une galaxie en proie à des manipulations politiques obscures, avec la musiques de John Williams en fond. C'est ici le même monde mais avec une approche très différente que pour ma part je ne préfère pas, bien qu'elle soit intéressante.
C’est un peu comme si notre monde occidental, un peu débile avec son individualisme, ses boîtes de nuit, ses films pornos, sa modernité confortable et superficielle, rencontrait le monde de Star Wars qui est plus un monde de fantasy transposé dans l'espace. Le choc est donc assez rude sans être vomitif.
Je ne serais en tous cas pas fan de Star Wars si c'était ça (de la même manière que je ne suis pas fan d'Hunger Games sans mépriser ça excessivement).


Il est vrai que Coruscant a des airs de Blade Runner/Cinquième Élément, et que cela a été exploité dans je ne sais plus quelle saga maintenant Légende... Ce qui est déjà très différent, mais peut-être plus approprié à Star Wars, qui reste un univers avant tout adulte et posé, désintéressé et divertissant, universel et atemporel.
Peut-être alors le problème vient-il plus de la forme (prose, narration etc) que du fond (histoire d'amour, jeunesse, humains de base etc).


Si l’intérêt littéraire du livre est assez moyen (sans être nul), son intérêt "roman de gare geek commercial" vient du premier voile levé sur les suites de l'Épisode VI avec les conséquences et suites de la Bataille d'Endor (réorganisation de l'Empire et Bataille de Jakku), ainsi que de l'approfondissement des vies lambdas de la galaxie Star Wars (relations entre Impériaux et Rebelles, pauvres gens paumés dans un bordel qui les dépasse, comme dans toute guerre + agents Impériaux graciés de par leur nombre, traités, etc etc).
Rappelons que ce roman fait partie de ceux qui lancent le Nouvel Univers Étendu, qui pour la plupart ont pour but de nous montrer et de nous expliquer ce qui s'est passé pendant les 30 années séparant les Épisodes VI et VII. Les derniers chapitres de celui-ci en sèment les graines, formées par les chapitres précédents qui reprennent et détaillent des aspects de l'histoire que nous connaissons déjà.
Lancement d'une nouvelle continuité donc, dont Jakku est l'un des symboles forts, présent ici.


Un roman qui ne plaira pas à tout le monde, qui a des hauts et des bas et qui est tiraillé entre son aspect "histoire d'amour poétique pas très recherchée mais sympa" et son aspect "accessoire geek informatif servant un univers étendu", le tout baigné dans une prose et une réflexion trop simples.


Sorte de fanfiction officielle qui aura du mal à trouver son public... Pour ma part certains aspects de l'histoire m'ont touché (Jelucan, la Forteresse), d'autres m'ont intéressé (notion de bien et de mal, empirisme, cynisme, déterminisme...) mais cette façon de courir après les films et la maladresse du traitement des personnages (Ciena, Nash...) m'ont clairement rebuté.
Je n'ai retrouvé ni la magie des films (ironie ultime, ce roman taquine les histoires d'aventures spatiales) ni la gravité épique des autres romans Star Wars que j'ai pu lire, toutefois j'ai lu ce livre sans problème, comme en regardant un téléfilm.


M'enfin, il y a des choses qui manquent et des choses en trop à tous les niveaux dans ce roman... Il remplit des trous en en faisant d'autres... Il ronge son frein... Comment dire... Pour qu'il soit bon on devrait pouvoir le lire sans avoir vu les films et lu des romans et ne pas être dubitatif. Or ces batailles, y compris Jakku (dont pour le coup on ne sait rien, on dirait un teaser des œuvres à venir), on y capte pas grand chose ; ce roman est une sorte de semi spin-off cross-over.


Je garde une profonde affection pour l'univers Star Wars et ce roman apporte pas mal de choses.


Il aurait été plus pertinent de confier l'écriture à James Luceno ou Matthew Stover (et autres), qui ont le chic pour mettre en écrit un univers tel que Star Wars plus sombre, réaliste, détaillé et humain, de façon immersive et crédible, et de raconter l'histoire d'un seul personnage qui perd ses illusions patriotes à la Soldat Chamane - passer du film d'aventure ou du blockbuster grand public à quelque-chose de plus poignant, et/ou différent, tout en restant fidèle.


Il aurait aussi fallu s'éloigner des événements et personnages filmiques (cette guerre est grande), seulement les mentionner vaguement peut-être, pour terminer par la Bataille de Jakku (dont on ne sait pas grand chose à part le résultat, comme pour le reste si on a pas vu les films - à suivre donc dans la trilogie Aftermath sans doute). Cela aurait garanti une histoire totalement originale et indépendante et aurait donné plus d'ampleur à l'intrigue tout en ayant les mêmes effets informatifs.
Cela aurait aussi évité le côté téléphoné, et surtout le côté sacrilège ; car ici les personnages et leurs histoires paraissent petits et inappropriés au milieu de tous ces trucs cultes, alors qu'ils pourraient avoir l'air aussi importants à leur façon en étant indépendants, loin, très loin, je sais pas si c'est clair !
Bien faite et séparée une oeuvre dérivée peut devenir tout aussi sacrée, à sa manière, avec le temps ; il suffit d'ignorer tout en respectant ce qui a été fait avant.
Oui bon c'est pas clair.
Le poids de cet univers et surtout de ces énormes événements marquants enchaînent et écrasent ce roman. Il aurait fallu aller ailleurs dans la galaxie où il se passe des tas de trucs importants. L'histoire est beaucoup trop complémentaire et pas assez indépendante. C'est mieux là ?


Quoiqu'il en soit en se lançant dans ce roman, on est censé connaître l'histoire de la fin de l'Empire et les rebondissements des films ; les enjeux de ce roman se trouvent ailleurs et leur superposition fait pâle figure... Et ça aurait pu être autrement. Ça aurait pu être tellement mieux.


Question : Quelle était l'indépendance de l'auteure dans l'écriture de ce roman ? À méditer.


Un goût d'inachevé, d'incomplétude, de décalage inapproprié... mais aussi quelques beaux souvenirs et pas mal de nouvelles infos et perspectives. Un roman geek, sentimental et utilitaire. À moitié original, à moitié commercial.


P.S. : L'aspect de cette couverture est joli mais fait trop dessin animé au niveau du vaisseau.


Edit : Mode d'emploi d'un maître du genre https://www.youtube.com/watch?v=bLgg1v5vjYI

Nevare

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