Stone junction
7.6
Stone junction

livre de Jim Dodge (1990)

Se plonger dans Stone Jonction aujourd’hui, c’est comme marcher à tout jamais dans les rues d’une ville en plein hiver. Et pas une de ces belles villes romantiques avec sa petite bande de monuments historiques qui jouent des coudes pour vous offrir leurs plus jolies courbes centenaires, et avec ses rues piétonnes pittoresques qui semblent toutes droits sorties d’une histoire pour enfants, celle où le renard, le loup et la tortue finissent tous heureux avec une ribambelle de petits bébés renard et de petits bébés loups et de petits bébés tortues, et avec ses parcs et leurs grands arbres et leurs petits bancs, et avec ses terrasses qui dégoulinent de vies comme un cornet trois boules en plein soleil. Non, une ville démoralisante avec ses grands bâtiments de bétons et ses grosses auréoles sous les fenêtres, et avec ses grands immeubles de briques rouges fissurées maintenant noires, et avec son nuage de pollution qui pèse sur les épaules, et avec un camion poubelle qui arrive pour ramasser les sacs poubelles qui pullulent sur le sol comme une infection purulente.


Et pas non plus un de ces jolis hivers féeriques, avec son jolie ciel bleu et ses flocons qui virevoltent dans le ciel avec leur tronche d’île flottante sans caramel devant les lumières multicolores des décorations de noël. Non, un hiver maussade avec un ciel gris permanent qui dépeint sur tout ce qui vous entoure pour transformer le monde en semi-ténèbres dépressifs, et avec ses averses continuelles qui tambourinent sur les vitres pour vous rappeler qu’elle vous attend pour vous tomber dessus et vous couler dans les cheveux et pour vous poursuivre jusque dans votre lit avec ses amis les grêles et le tonnerre pour vous empêcher de trouver le sommeil. Et pas encore un de ces début d’hiver avec son arrière-gout d’automne illuminé par ses couchés de soleil dégradés vermillons-orangés, et avec ses trottoirs recouverts de feuilles multicolores qui craquent quand vous marchez dessus, et avec ses dernières petites jupettes qui dansent tranquillement avec le vent mais disons une fin de février quand l’hiver ne semble plus jamais vouloir se terminer et bien décidé à vous poursuivre pour toujours.


Oui, se plonger dans Stone Junction aujourd’hui, c’est comme marcher dans cette triste ville pendant cet hiver qui foutrait le cafard à toute une civilisation de blattes et de coquerelles qui se seraient réunies dans une grande société d’insectes à carapace, quand soudain, en tournant au coin d’une petite ruelle vous vous retrouvez en pleine nature par une jolie journée ensoleillée. Et pas dans un de ces petits bosquet avec dix-neuf petits arbres, quinze arbustes, quatre écureuils, une marres et trois canards. Non, non. Un bon gros bout de nature, avec de grandes montagnes qui s’étendent à pertes de vue et leurs mentaux de neiges soigneusement posés sur les épaules, et avec de grands arbres qui ne semblent jamais s’arrêter et qui s’en vont tout la haut chatouiller un ciel bleu qui ne paraît jamais commencer, et avec de petits nuages blancs comme de mini barbe-à-papas flottant dans le ciel, et avec le chant des oiseaux qui slalome doucement entre le frottement des feuilles balayées par un petit courant d’air frais, et avec une large rivière qui serpente entre les rochers pendant que de gros saumons se bousculent pour remonter des rapides à contre-courant et que d’énormes truites reflètent le soleil comme des milliers de diamants posés au fond de l’eau, et avec ses biches qui viennent boire sur les berges de ces lacets argentés, et ses papillons élégants qui volettent entre les fleurs et leur patchwork de pétales multicolores.


Et alors, dans cette incroyable nature doucereuse en plein cœur de cet hiver en ville, vous rencontrez une organisation secrète de hors-la-loi magiciens qui ont tous des noms improbables, des dégaines inimaginables et des talents incroyables. Des voleurs d’or obsédés par le tableau périodique, des ouvreurs de n’importe quel coffre-fort que possède ce monde, des producteurs de drogue constamment défoncés, des faussaires capable de devenir tout le monde et n’importe qui, des joueurs de cartes légendaires et des magiciens capables de se volatiliser. Et aussi une mystérieuse femme manieuse de produit chimique, un détective canadien au pouvoir de déduction imparable ou encore une jeune femme échappée d’hôpital psychiatrique avec sa fille imaginaire et sa cicatrice invisible. Et ils arpentent tous les routes, en camions ou alors en voitures, en hélicoptères ou alors en stop, jusqu’à ce qu’ils disparaissent dans la nuit pour réapparaître quelques mois plus tard.


Car se plonger dans Stone Junction, c’est commencer un périple explosif comme une balle de revolvers filant droit vers le diamant de la vie en passant à travers toutes les drogues de ce monde. C’est un parcours initiatique peuplé de rencontres déjantées, de criminels attachants et de policiers repoussants, de fous passionnants et de businessmans barbants dans un monde où l’on peut aller de Berkeley à un lac invisible perdu au milieu des montagnes, de New-York à un petit motel égaré quelque part dans le désert, de Reno à une pizzéria de centre commercial où tous les salariés sont déguisé en lièvres, sans jamais laissé de trace dans cet univers où la technologie n’a pas encore envahie chaque aspect de nos vie, où l’homme ne se prend pas encore totalement pour dieu même s’il faut dire qu’il a quand même bien commencé, jusqu’à finalement disparaître, à tout jamais cette fois.


C’est une révélation lumineuse, une expérience mystique, une évidence métaphasique où les phrases démentielles sur la vie et le sens de la vie, sur l’esprit et la portée de l’esprit, sur l’imagination et le pouvoir de l’imagination fleurissent comme de jolies fleurs colorées sous LSD dans la rosée d’acide d’un début de printemps ensoleillé illuminant le rêve apaisé d’un fumeur d’opium.


Et puis alors, Stone Junction, vous le terminez et vous le refermez et ce coin de nature disparaît et vous revoilà dans cette villes sales et défraîchie pendant cet hiver grisâtre et pluvieux, mais ce monde incroyable et tous ces êtres fantastiques qui le peuplent continuent de briller quelque part au fond de votre esprit comme un énorme diamant avec une flamme en son centre.


Et dans votre cœur aussi.


Et dans vos tripes surtout.

Clode
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le 25 juil. 2016

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Clode

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