Karl Marx, bien avant d’écrire cette œuvre somme qu’est Le Capital, rédigea quelques réflexions diverses comme ce petit essai (qui fut d'abord un article publié dans la revue Deutsch-Französische Jahrbücher) portant sur la communauté juive nommé Sur la question juive.


Karl Marx répond à une critique des Juifs par Bruno Baueur (à propos de l'émancipation des Juifs de Prusse). En partant de cette première pensée, Marx va tenter de réfléchir au rapport qu’entretient la communauté juive avec l’Etat (pour un pays européen, majoritairement chrétien). Marx aborde d’abord la question générale de l’émancipation de l’Etat, et donc de « l’émancipation humaine » pour évoquer ensuite, plus spécifiquement, le cas de la communauté juive. A la fin de l’ouvrage, Marx aborde la question de l’argent. En premier lieu, le penseur allemand insiste sur les aspects négatifs de l’argent comme son pouvoir d’aliénation du travail de l’homme.


« L’argent est le dieu jaloux d’Israël devant lequel il n’est permis à aucun autre dieu de subsister. L’argent rabaisse tous les dieux de l’homme et les métamorphoses en une marchandise. L’argent est la valeur universelle et constituée pour elle-même de toutes choses. Il a, de ce fait, spolié le monde entier, le monde des hommes comme celui de la nature, de sa valeur spécifique. L’argent est l’essence aliénée (entfremdete) du travail et de l’existence de l’homme, et cette essence étrangère (fremde) le domine, et il lui adresse ses prières. »


En aucun cas, Marx ne réduit le Juif à l’argent comme une donnée naturelle. La critique de l’argent est une critique pour ce qu’est l’argent, ce qu’elle produit, amène. D'ailleurs, Marx parle d'abord de l’homme. Le Juif ne vient qu’après. Marx utilise des termes très négatifs qui ne cherchent jamais à englober à une pratique de l’argent la communauté juive. L’argent est le « dieu jaloux d’Israël ». Marx parlera également de « nationalité chimérique du juif » en évoquant la figure du commerçant.
« La nationalité chimérique du juif est la nationalité du commerçant, de l’homme d’argent en général. »


C’est un aspect du peuple Juif, un corps de métier, un type d’émancipation que Marx critique. Ce moyen par lequel la communauté juive s’est parfois émancipée, le versant pratique dans lequel une partie des Juifs s’est fourvoyée, poussée par des conditions politiques précises (confiscation des droits politiques, etc.).


« Le juif s’est émancipé d’une manière juive, non seulement en s’étant approprié la puissance de l’argent, mais aussi quand, par lui et sans lui, l’argent est devenu la puissance mondiale et l’esprit pratique juif est devenu l’esprit pratique des peuples chrétiens. Les juifs se sont émancipés dans la mesure où les chrétiens sont devenus des juifs. »


Dans l’extrait ci-dessus, on retrouve finalement cette idée d’une critique, en premier, de l’argent (« l’argent est devenu la puissance mondiale », « par lui et sans lui ») puis, en second, de son serviteur, l’homme d’argent juif. Le Juif s’étant simplement retrouvé, à un moment, comme l’homme le plus apte (ou considéré comme tel) pour gérer ces affaires.


Marx va également sur le terrain de la religion pour critiquer l’argent. L’argent, dépeint généralement comme néfaste, est l’aspect « profane du judaïsme ». Autrement dit, on constate une victoire du religieux sur le terrain du pratique. On pourrait dire que contrairement au christianisme qui a une vision universelle de son message (d’où les campagnes d’évangélisation, il faut porter la bonne parole à ceux qui sont encore dans l’ignorance, la figure de la « brebis égarée »), le judaïsme a pu se traduire en un « judaïsme pratique ». Il ne s’agit plus d’une domination sur le champ des croyances mais du commerce, de l’argent. De la théologie au monde pratique.


« Quel est le fondement profane du judaïsme ? Le besoin pratique, le profit personnel. Quel est le culte profane du juif ? L’agiotage. Quel est son dieu profane ? L’argent. Eh bien soit ! S’émanciper de l’agiotage et de l’argent, donc du judaïsme pratique, réel, serait l’autoémancipation de notre temps. »


Marx n’est pas un antisémite carabiné, bêtement agressif, réduisant un ensemble à un cas. Au contraire, sa critique est d’abord globale (effets néfastes de l’argent sur les objets, le travail humain, la nature…) puis ne concerne qu’un penchant de la communauté juive, une pratique jugée néfaste (« Considérons le juif profane réel, non pas le juif du sabbat comme le fait Bauer, mais le juif de tous les jours. »). Encore une fois, dans la précédente citation, on observe le dissociation qu’opère Marx. Il n’est jamais question du Juif comme d’une unité globalisante.


La critique de Marx n’est pas vaine puisqu’elle se double d’un désir d’émancipation. Il n’y a pas de fatalité chez Marx, ni d’accablement. Il y a simplement un constat qui se double d’une action. On est loin de la caricature du Juif (par des antisémites bêtas), cause de tous les maux et souffrant d’un mal incurable (si ce n’est par l’éradication physique), ou d’une vision angélique de la victime éternelle (Le Juif est l’éternel être rejeté du fait d’une haine qu’il n’alimente que parce qu’il est différent).


Marx part de l’Histoire, même si son travail n’est pas un déroulé minutieux des conditions conduisant une partie des Juifs vers les activités du commerce (comme l’entreprendra Bernard Lazare et d’autres), pour réfléchir plus spécifiquement à la question de l’argent et à l’émancipation humaine donc juive pour ce cas-ci (c’est son sujet d’étude). Sur la question juive est un texte bref mais qui a le mérite de battre en brèche deux contraires s’alimentant perpétuellement, et négatifs tous deux car ils développent chacun, à leur manière, une haine, l’antisémitisme et le philosémitisme. Ce qui n’est, tout de même, pas rien.

Al_Foux
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le 5 janv. 2016

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