Il est préférable de garder à l’esprit au cours de sa lecture que ce texte est une retranscription d’une émission télévisée organisée sous forme de carte blanche à Pierre Bourdieu. On ne s’étonnera donc pas de sa relative brièveté, ni de sa structure assez libre. Ce qui étonne plus, du coup, c’est la cohérence du propos, et plus encore la précision dans le choix des mots; je dirais presque que le style est plaisant.

Chose qui n’était pas des plus aisées puisqu’il est nécessaire à Bourdieu, pour exposer ses idées, d’y inclure quelques-uns de ses concepts et quelques termes un peu techniques. Rien pour autant qui fasse obstacle à l’intelligibilité de la démarche. Moi qui n’ai qu’une connaissance minimale de Bourdieu et pas une culture sociologique très développée, jamais je n’ai manqué de le comprendre.

Il faut dire que le texte est remarquable de synthèse. On sait toute la difficulté de simplifier sa pensée sans la trahir. C’est d’ailleurs Bourdieu lui-même qui évoque cette difficulté et regrette l’impossibilité presque systématique à la télévision de donner le temps aux intervenants de développer un point de vue au-delà de simples affirmations. Un média de l’immédiateté, de la vitesse, du scoop. Autant d’aspects qui relèvent principalement, nous explique Bourdieu, d’une logique commerciale qui exige des journalistes de toujours devancer la concurrence.
Je ne tomberai donc pas davantage dans le piège que je viens de décrire et éviterai de résumer la pensée du monsieur, qui, à défaut d’être exhaustive, est suffisamment féconde pour sembler aujourd’hui correspondre à à peu près toutes les branches du journalisme – ce que Bourdieu prédit un peu en notant que déjà la télévision domine et exerce une certaine fascination sur la presse écrite.

Il m’est revenu à plusieurs reprises, pendant ma lecture, ces remarques de notre brave Alain Finkielkraut, réactionnaire émérite, qui jugeait qu’après tout, si Bourdieu dénonçait la télévision, c’était parce qu’il ne supportait pas la contradiction et, sous couvert de dénoncer son caractère commercial, dénonçait finalement son caractère démocratique. Que lui répondre, sinon ceci: a-t-il lu Bourdieu? Il est vrai que s’il n’oublie pas de dire qu’elle pourrait être un outil formidable, il ne propose pas d’alternative à la télévision telle qu’elle existe. Mais il suffit de connaître un peu l’auteur et son déterminisme effronté pour s’expliquer cette retenue dans la proposition d’une télévision plus noble. Comment la changer quand elle est forcée d’obéir aux lois d’un marché mondial? Il faudrait de plus grands desseins, plus globaux, pour la reconstruire.

S’il me fallait objecter quelque chose, ce serait qu’on se laisse parfois aller à quelques remarques un peu faciles, pas toujours sociologiques, ni tout à fait liées au sujet (du moins pas assez pour en approfondir l’étude). C’est quelque chose que chacun prend plaisir à faire dès lors qu’on s'embarque dans une démonstration orale: alors qu’on s’est lancé dans la défense acharnée de Karim Benzema et qu’on assure qu’il est légitime en pointe de l’attaque du Real Madrid, on concède qu’il a quand même une coupe de cheveux dégueulasse. On peut se le permettre quand il s’agit de parler de foot avec un ami. Quand on parle en sa qualité de sociologue, et qu’on a un tel goût pour la valeur et le sens des mots, c’est plus regrettable.

Mais c’est un bien maigre reproche au regard de la limpidité du texte
Manu-D
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le 1 juin 2014

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Manu-D

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