Sur la traces de Nieves, l’écrivain italien Erie de Luca s’est lancé, pour comprendre avec elle cette passion de l’effort, du dépassement, de la montagne. Une passion qui s’incarne sous la forme d’une exigence, d’un appel, souvent intransigeant. Ce sport extrême, l’alpinisme, que le grand Lionel Terray qualifiait de « conquête de l’inutile », est souvent couteux, plus en effort mental et physique que financier, bien que la donne économique entre en jeu., les expéditions en haute montagne sont souvent coûteuses.

Nieves Meroi est une talentueuse alpiniste italienne. Née en 1961, elle est la première femme à avoir vaincu 10 sommets de plus de 8000 mètres, bien que cette compétition entre sportive du même sexe l’amuse sans l’obséder. Avec son compagnon de cordée, Romano Benet, qui est également son compagnon à la vie, elle a affronté des sommets réputés parmi les plus dangereux, comme le K2, dans la chaîne himalayenne.

Parti en montagne avec Erie de Luca, les deux italiens profitent d’une tempête qui les rive dans leur tente pour entamer une discussion.

Qu’est ce qui te pousse si haut, si loin, Nives ? s’interroge l’écrivain. Comment supporte-tu la douleur, la solitude, cet infiniment blanc autour de toi, qui se rapporterait pour l’écrivain à l’angoisse de la page blanche…

Nieves répond simplement, entre deux sommes, bercée par la voix de l’écrivain. Elle compagnonne avec la montagne comme elle compagnonne avec Romano, ou avec leur ami Luca ; sincèrement, discrètement, humblement. Leurs équipées ne comprennent ni sherpas, ces montagnards payés pour supporter les charges des alpinistes et dresser leurs camps, ni bouteilles d’oxygènes, souvent nécessaire au-delà de 7000 mètres.

Erie, lui, aime retrouver de vieux pitons rouillés dans la montagne, la trace du cheminement d’autres grimpeurs avant lui. En tant qu’écrivain, il aime ce qui fait signe, ce qui est communicable et le relie à une pratique culturelle. En tant qu’ancien ouvrier, il a le respect du travail, de l’endurance, et de la camaraderie qui lie par le labeur.

Nieves aime la nature, sa virginité de plus en plus rare, qu’il faut mériter. Elle fuit les marques ou toute trace qui attesterait de son passage. Si les médias sportifs la lance dans une compétition avec les autres femmes alpinistes pour être la première de son sexe a vaincre tous les sommets de plus de 8000 mètres (challenge qui sera remportée par la coréenne Oh Eun Sun), elle répond avec détachement qu’elle n’apprécierait que d’être la première à le faire sans porteurs ni apports d’air artificiel.

Nieves n’est pas une solitaire, pas vraiment. Ses ascensions se comprennent aux côtés de son compagnon Romano, même si les deux alpinistes ne franchissent que très rarement les sommets côte à côte. Nieves chemine sereinement, à son rythme, dans la trace de Romano qui se fond avec les siennes. Ces séparations et ces retrouvailles se font au grès de la montagne, qui devient le pouls, le mécanisme de cette relation. Nieves et Romano semblent exister par la montagne, mais la montagne n’est possible que parce qu’ils sont deux. Il ne reste rien derrière eux qui ne puisse les retenir, tout est devant, et dans leurs pas présents, tant que la neige ne les recouvre pas.

Erie, comme l’enfant qu’il n’est plus, mais qu’il demeure être au pied de l’immensité glacée, s’interroge à nouveau. Peut-on parler d’une communion avec la montagne, d’une dialectique mystique, voire religieuse du mouvement ascensionnel ?

Nieves n’est pas une fervente religieuse, mais elle ressent la foi, l’amour, et la persévérance dans son ascension. Il faut ressentir une certaine foi pour avancer, on peut lui donner le nom qui lui convient pour chacun.

Alors qu’on t’il en commun, l’alpiniste téméraire, qui souhaite se fondre dans ce flanc immaculée de la blanche baleine montagneuse, et l’écrivain amoureux du signe, de la transmission et de l’effort ?

Sur la trace de Nieves, est déjà en soi un titre paradoxal, être dans les traces de celle qui n’en laisse pas…toute la dialectique de l’auteur, sa recherche de la rencontre, dans une parenthèse hors du temps.

Emma Breton
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le 26 août 2013

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